OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

28.8.07

Sept mots

[suivant une consigne sur Impromptus Littéraires, il fallait incorporer sept mots dans un récit. Voici mon résultat -- qui ne casse pas de briques, hélas...]

On l’avait baptisé Orion le lendemain de son arrivée chez nous. Papy, déjà un peu vague à l’époque, égarait toujours ses pantoufles, et le jeune chiot marron et noir a gagné son nom de chasseur ce premier week-end où il a retrouvé, pour la troisième fois, les charentaises de mon grand-père.

Ce chien était plus sûr qu’un GPS, il ne se perdait jamais, et il ne permettait jamais aux autres de se perdre. Bien des fois, il me ramenait des bois dans le crépuscule après une journée que j’avais passée perdue dans une de ces rêveries adolescentes connues pour leur sensualité. Je ne faisais jamais attention à l’heure ni au fait que le soleil descendait de plus en plus bas vers l’horizon, mais mon beau berger allemand, lui, n’oubliait jamais son devoir : celui de me ramener saine et sauve à la fin de chaque randonnée.

Normal alors qu’Orion m’accompagne lorsque j’ai définitivement quitté la demeure familiale pour aller m’installer dans un village assez loin. Papy était décédé, mes parents voulaient voyager, et c’était logique que cet ami de ma jeunesse viendrait vivre avec sa copine de toujours, dans la petite maison au petit bourg perdu. Ensemble, on a commencé notre vie de professeur d’anglais et son chien.

Il jouait ce rôle comme toujours, noblement, toujours prêt à m’accompagner lors d’une promenade le soir ou le week-end. C’était lui qui m’accueillait toujours à la porte, les yeux noirs brillants, un petit bonsoir gémi doucement pour me dire qu’il était content de me revoir. Dans la bonne tradition de la famille, c’était lui qui cherchait mes pantoufles ou mes sandales lorsque je me mettais à me décontracter après une longue journée devant mes classes parfois contrariantes et toujours exigeantes.

Et puis, un soir, Orion n’était pas là devant moi dans la cuisine quand je suis rentrée. Je l’ai retrouvé couché devant la cheminée au living. C’était la première fois en quinze ans qu’il n’était pas venu m’accueillir à la porte.

Le véto a vite trouvé le problème, un cancer déjà la taille d’un gros abricot. Il n’y avait rien que je pouvais faire pour mon ami, sauf l’aider à sortir de son déclin qui promettait d’être rapide et douloureux. J’ai beau regarder mon agenda, je ne voyais pas les pages. Ce n’est jamais facile de trouver une date pour la mort.

Le lendemain, Orion et moi avons fait notre dernière promenade ensemble, la première où il a manqué de me ramener dans le crépuscule. Je suis rentrée seule et perdue, sa laisse toujours dans ma main, pour me guider, faute de mieux.

Ce n’est qu’en ouvrant la porte que j’ai vu ma tong rouge qui avait disparu dans le tracas de la rentrée. Ce jour-là, son dernier, Orion l’avait retrouvée et laissée où il savait que je la verrais à travers ces larmes qui tombaient comme des flèches d’un chasseur perdu.

3 commentaires:

  1. Anonyme2:45 PM

    Oh, c'est triste !

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  2. Anonyme2:58 PM

    Je l'aime beaucoup ton texte, moi. Il y a une part de vérité ou fiction pure?

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  3. bugs : J'avais un chien, Lucky Lee Lore, mais c'était un border collie, pas un berger allemand. Il s'occupait des vaches dans la ferme, pas de pantoufles. Il est mort de la même manière, mais je n'étais pas là. J'étais jeune prof d'anglais (et de français)ailleurs.

    La vérité, je pense, est dans cet amour qu'on peut ressentir pour un chien ou un chat...

    En tout cas, je suis très contente que mon texte te plaise !

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