OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

30.5.11

Mon amour, je t'attends...

En vos mots chez Lali, n°215

Mme Lebasque lisant au jardin par Henri Lebasque

Mon amour,
Je t’attends dans mon atelier. Je sais que tu es en train de me lire au jardin. 
Je respire d’ici ton parfum, je guette déjà le chuchotement de tes jupons, le tapotement 
de tes petits pieds sur les dallages. J’attends avec impatience d’ôter ton chapeau, de dénouer tes cheveux, de sentir le soleil sur ta peau, de contempler tes préparatifs, lents et délicieux. 
Mes pinceaux sont prêts à traduire ta peau douce et rose sur la toile tendue 
qui vibrera joyeusement sous leurs caresses, comme toi sous les miennes, 
comme moi sous les tiennes. Mon amour, je t’attends. Viens.

 Henri

29.5.11

Mesure pour mesure

Depuis sa jeune enfance, pour chaque grand chagrin de sa vie, Marguerite avait sorti ses moules, ses cuillères, ses bols, la farine, ses oeufs, son lait, et son sucre. Les mesures l'aidaient toujours à rétablir un ordre physique pour son chaos émotif. Mesurant, versant, battant, versant, les rythmes d'une création assez peu créatrice la calmaient, et peu à peu elle se remettait.

Quand son père est mort, Marguerite s'enfuit dans les mystères des biscuits américains : aux pépites de chocolat, au beurre de cacahuète, aux flocons d'avoine. Les enfants des voisins approuvaient pleinement son deuil et le trouvaient goûteux.

Après le décès de sa mère, elle refit tous les gâteaux de son répertoire, dont certains elles avaient appris au coude de la défunte. De nouveau, les enfants des voisins savaient exactement le bon moment pour frapper à la porte. Pas trop tôt, avant le glaçage, et pas trop tard, quand le gâteau a été rangé ou offert à quelqu'un d'autre.

Tout naturellement, Marguerite les aidait à deviner ces moments, en claquant fort la portière d'un placard, en s'exclamant avec un Alors ! qui pouvait se faire entendre dans le couloir.

Mais quand son mari mourut, Marguerite, bouleversée, oubliait son rite magique et s'effondrait dans le désespoir extrême. Elle oubliait même de nourrir le chat, qui, voyant bien où cela menait, choisit son moment pour s'enfuir. Quand Marguerite s'en rendit compte, c'était trop tard, mais elle resta tout de même insensible à cette nouvelle tragédie, ne sachant pas trop comment gérer l'ancienne qui restait toujours aussi actuelle.

Les enfants des voisins étaient consternés parce qu'ils s'étaient attendus à de nouveaux délices pâtissiers et exotiques.

Mais non. Pas cette fois-ci. Cette fois-ci, rien.

Peu à peu, ils grandirent, quittèrent l'immeuble, oublièrent Marguerite et son tablier couvert de farine et des taches de chocolat.

28.5.11

停止發痒我


Tout le monde sait qu’on peut très bien communiquer sans mots, mais la Chine fut le premier pays que j’ai visité où je me sentais vraiment à l’étranger. À part « Ni hao », « Bu hao » et « Xie-xie », je ne savais absolument rien de la langue, et jusqu’aujourd’hui, c’est encore le cas. Qui plus est, mon mari se moque de moi lorsque nous regardons un film chinois et je lui demande de hausser le son afin que j’entende, sans piger un seul mot.
Mais pour le voyage, je n’étais pas inquiète, je faisais partie d’un groupe d’Américains, je savais que je n’avais qu’à suivre le guide, que tout se passerait bien, et que j’apprendrais beaucoup. En partant de Détroit, j’ai eu ma première leçon de culture : quand on a annoncé l’intention de commencer l’embarquement, trois cents personnes dans la salle d’attente se sont levés en même temps, et tout le monde se bousculait pour entrer par la petite porte. C’était un peu comme un vieux film des frères Marx : quatre et cinq personnes s’entassaient coude-à-coude à l’enceinte et alors, personne ne pouvait y entrer jusqu’à ce que quelqu’un décidât de céder sa place. Plus tard, à l’aéroport de Pékin et puis à celui de Xi’an, même histoire. À chaque annonce, bong ! tout le monde se levait en masse et bagarrait pour être le premier à embarquer, comme si l’avion allait repartir avec des passagers encore sur les ailes ou accrochés à la dérive de l’avion.
Tout le voyage était un exercice de culture et de communication. On « parlait » aux chauffeurs de taxi avec des livres multilingues, trouvant la phrase nécessaire en anglais qui était traduite vers le chinois que le chauffeur lisait pour comprendre notre demande. J’ai eu une longue « conversation » avec une cordonnière au marché de Xi’an pour lui demander si je pouvais la photographier. Sa réponse était un « non » très clair. Au Square Tianmen, les deux blondes aux yeux bleus d’Amérique ont compris les demandes polies et se sont laissé photographier avec des soldats chinois, qui allaient sans doute envoyer les photos chez eux comme preuve de leurs « conquêtes » à la capitale. À la Grand Muraille, les vendeurs en bas parlaient toutes les langues, et ils ne se trompaient jamais : « One dollah » criaient-ils quand passaient les Américains ; « Ein Mark » pour les Allemands ; « Cinq francs » pour les Français. Et ils ne se trompaient jamais.
Le Jour de l’An, après avoir dansé toute la nuit à la discothèque de l’hôtel avec des représentants coréens – « On danse ? » étant une invitation qui se comprend universellement, ainsi que le sourire qui dit « Oui » – ma copine et moi nous promenions dans la rue. Croisant un jeune couple et leur gamin qui savait à peine marcher, nous avons dit « Ni hao ». Les parents ont répondu « Ni hao ». L’enfant, nous regardant et comprenant tout de suite, a répondu « Hello ».
Mais le meilleur exemple était lors de la visite au village hutong à Pékin. Notre groupe a eu le privilège d’entrer dans une maison et de serrer la main aux habitants : le Papy, la Mamy, le fils et la belle-fille, les petits enfants, et même les poules de la basse-cour au milieu.
Dans notre groupe, il y avait une famille de cinq New Yorkais, un couple et leurs trois grands fils.
Papy Hutong était impressionné.
- Trois fils ! s’est-il exclamé avec ses yeux et ses mains.
- Oui, a dit leur père, hochant la tête, tout fier.
- Vous êtes d’une virilité ! a crié Papy, tapant le monsieur sur l’épaule.
- Eh oui ! souriait le papa.
Puis Papy s’est retourné aux deux blondes derrière le papa qui rougissait du compliment. Le regard du vieillard était limpide. Il nous a dit, avec un haussement d’épaules et une moue dédaigneuse :
- Lui ?!?  Ben, qui l’eût cru ?
Ma copine et moi étions mortes de rire.
Heureux de son succès auprès des Américaines, Papy Hutong s’est proposé pour une photo.
J’ai fait la photo de lui et ma copine, clic-clac, pas de problème.
Mais elle ne savait pas faire avec mon appareil, cela lui a pris un long moment.
Jusqu’aujourd’hui, on voit sur le diapo que je souriais très, très grand.
monsieur_Hutang__pince_sans_rire
C’est parce que ce grand fourbe de Papy, avec les doigts de sa main gauche, me faisait comprendre que lui, c'était un homme universellement compréhensif !
monsieur_Hutang
 停止發痒我 = Arrêtez de me faire des chatouilles !

22.5.11

Voyage de noces

Sujet proposé par Lali :

par Joseph Christian Leyendecker

Jessica faisait semblant de lire. Charles le regardait à son aise dans la lumière. 
Hier soir, à la cabine, une femme qui luisait, ses cheveux défaits, sa bouche entrouverte, ses bras et ses hanches arrondis, ses yeux brillants grands ouverts, ses seins impudents dansant au-dessus de lui, et sa voix qu'elle n'a pas su retenir...
Et ce matin, sur le pont, voilà cette fille silencieusement pudique, réservée, correcte, impeccable, sans reproches.
Laquelle était-elle vraiment ? se demanda-t-il, sans pouvoir se décider.
Mais, finalement, c'était sans importance.
Il était content d'avoir épousé les deux.

17.5.11

Cette plage étrange



Défaillance par Siquieros

Cette plage étrange des sables bruns et mous
Sous un lourd ciel bleu-noir, maussade, abandonné,
Où l’on entend le vent gronder ce grand dessous,
Où la mer a vomi le corps d’une noyée.

Son corps gonflé par l’eau, son visage effacé
Priant le ciel troublé,  ses yeux absents,  deux trous
Noirs, tout comme l’espoir dans cette âme naufragée,
Broyée, puis éteinte  par le cruel remous.

Nous-mêmes, survivants, prenons pitié d’elle,
Nous aussi victimes du paradis éteint
Trop tôt, trop brutalement, trop vaguement docile.

Portant la couronne de ces algues mortelles,
Nous murmurons, choqués, par le tendre restreint
De la mer qui châtie l’humanité fragile.

16.5.11

FRAGILE


- Mais attention ! Môman est trrrrrrrrrrrrrès fragile ! me cria le monsieur dont nous accueillions la mère à Brix-les-Eaux, la maison de retraite où je travaillais depuis déjà trop longtemps.
Je regardais Fiston de travers. Fragile mon œil au beurre noir, sa Môman  pesait au moins cent cinquante kilos !  Déjà mon lumbago me jouait du tambour aux reins en voyant cette prépondérance fourrée dans le siège à passagers. J’avais mal aux pieds, comme d’habitude, car depuis le début de mon service ce jour-là, je n’avais pas eu le temps de m’asseoir.
Je lui fis mon meilleur sourire de diplomate, et puis je l’effaçai. J’avais encore oublié que la dent - cassée la semaine dernière par un résident en délire - se voyait. Je fis donc vite pour cacher mon embarras.
- Mais bien sûr, Monsieur. Madame votre mère sera ici comme chez elle, un trésor chéri pour tout le monde.
Fiston me fit un air de hibou coupable, mais je hochai la tête pour le rassurer. Ma C-1 me faisait encore mal, je m’étais cogné la tête plus tôt ce matin-là après avoir glissé dans une flaque d’urine devant la porte d’un monsieur qui avait hardiment arrosé ses quatre-vingt-douze ans.
Je reconnus tout de suite Fiston, le genre est assez commun : petit homme frimant la cinquantaine, jamais marié, dévoué à sa Môman, qui fut pour lui une sainte. Mais leur martyre mutuelle s’approchait à sa fin. Peut-être la fiancée de Fiston était-elle fatiguée d’attendre ces derniers vingt ans, pour que Môman  l’accepte, ou qu’elle crève.
C’était souvent ainsi. Et les femmes fragiles comme Môman  vivaient parfois trrrrrrrrrrrrrrrès longtemps, voire trrrrrrrrrrrrrop longtemps pour les femmes comme Huguette qui attendaient tragiquement que leur future belle-môman les embrasse…
- Mais attention ! hululait le hibou dans mon oreille. Vous allez la laisser tomber !
Je ne répondis pas, il me fallait tout mon souffle pendant que je tirais sur les gros bras de Môman, gluée comme une sardine géante dans la Mégane. Et puis, pop ! elle se retrouva miraculeusement dans le fauteuil roulant.
Je vis déjà des reproches inquiets aux yeux ahuris de Fiston.
- Vous avez trop tiré sur ses bras, monsieur ! me reprit-il. Elle aura certainement des bleus ! Sa peau est délicate et…
- Fragile, oui, monsieur, je sais, je lui répondis, tout en me frottant mes propres bras qui brûlaient de l’effort nécessaire pour sortir Môman de son char. Je vis encore la vieille morsure au poignet gauche, faite par une résidente qui s’était souvenue pendant que je lui brossais les cheveux qu’elle avait encore deux ou trois dents…tout naturellement, elle avait voulu voir si ses quenottes d’autrefois marchaient encore…
Je me penchai vers le fauteuil.
- Mais je crois bien que Madame n’a rien eu. N’est-ce pas madame ?
En guise de réponse, Môman lâcha un gros pet spectaculairement dégueu. Même un ado en colonie n’aurait pas su mieux faire.
- Vous voyez, monsieur ?  lui souris-je. Votre mère pète la santé !
Fiston resta muet. Pour me reprendre, il aurait été obligé de reconnaître que la flatulence de sa môman n’avait vraiment rien de fragile. Je revis pendant quelques instants dans ses yeux une vieille lutte entre le devoir et la liberté avant que Fiston ne la maîtrise.
Nous repartîmes vers la chambre qui attendait. Fiston grommelait consciencieusement derrière nous pendant que je me débattais contre le poids impossible du fauteuil.

13.5.11

Chanson (déjà bien vieille, celle-ci)

Il était tout doux
Cet ami dont je chante, et
Il avait des yeux bruns
Comme un arbre en hiver
Mais il a disparu
Comme une feuille dans le vent, et
Il m'a laissée seule
Sans savoir très bien quoi faire

Sans adresse
Rien ne presse
La jeunesse...

Nous nous sommes couchés
Dans la belle herbe tout verte, et
Il m'a embrassée,
M'a chuchoté tout bas, et
C'était délicieux
Cette première découverte, et
On a tout oublié
Car on était bien là-bas

Choses exquises, et
Bien promises
Les bêtises...

Voilà le résultat
D'un printemps amoureux, et
Deux petits yeux bruns
Me suivent partout, partout
Et s'il me revenait
Tout bon, tout chaleureux, et
S'il me revenait,
Je pourrais lui dire adieu.

Belles images
De beaux ramages
C'est dommage.

12.5.11

Blanchir sous le harnais

Elle aimait bien être vache et en avait fait un métier.
Personne ne lui avait dit d'arrêter.
On craignait être en manque de lait.
Ses coups de sabot on supportait
Jusqu'au jour de sa mort, si vivement souhaitée.

11.5.11

Le pas de clerc

Un pas de deux
A fait des deux
Au Pas de Calais
Papas calés

Un tutélaire
(De quoi j'ai l'air ?)
Et tout dans l'air
 (Ah ! maudite ère !)

Un pas de clerc
La tête en l'air
Les bans bannis
Le bon renie

Aux pas de deux
Sous le nez de Dieu

3.5.11

FORT(e) DE CAFÉ

Pour Mille et Une :



…voilà comment me rendre loony :
montre-moi ce beau Georges Clooney
je me sens tout’ chose, tout’ spoony
lorsque je vois les yeux de Clooney
certains me trouveraient trop goonie
pour attirer l’esprit de Clooney
mais ni son look, son style si fou, ni
son charme sans armes et doux de doux, ni
son sel-et-poivre si beau et tabou, dis,
me fera lâcher prise de mon Georges Clooney…

1.5.11

Brin

Un premier mai
Sa mue était gaie