OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

16.12.11

CLOCHES

Pour Mille et une :

Les Vieux assis par Jean-Pierre Augier


Les vieux assis
--Ah si, ah si--
Sur leur valise
--Va Lise, va Lise--
Vont voyager
--Agés, âgés--
Vers l'horizon
--Risons, risons--
Et l'avenir
--Venir, venir--

Et le courage
--Qui rage, qui rage--
Dans ces deux coeurs
--De choeur, de choeur--
Fera rêver
--Rêvés, rêvés--
Tout entendeur
--Tendeur, tendeur--.

11.12.11

La Lectrice


Tableau par Mihay Bodo

C’était une sirène
Naufragée en ville
Elle avait le regard
Et le sourire faciles

La voir sur le béton
Me faisait tout drôle
Elle jouait avec peine
Son bizarre de rôle

D’une femme-sirène
Abandonnée par l’eau
Elle n’en parlait pas à moi,
Son homme, tombé du haut.

Elle n’avait jamais dit
Si elle regrettait la mer
Mais elle allait parfois
Lui parler du misère

De sa vie si terrestre
Trop compliquée pour elle
Pendant que  je faisais semblant
Qu’elle était immortelle.

La dernière fois que je l’ai vue
Elle feuilletait des pages
Qui faisaient le bruit de la mer
Vaguement sur une plage.

Et puis, comme ça, la mer avide
Est venue la chercher
Et elle, sans savoir résister,
Ne l’a pas refusée.

LE JEU DE L'HUMOUR AU HASARD

 Pour Le Défi du samedi :

Tout d’abord, on tire trois coups (dans la tête du lecteur) et la pièce commence (à nous énerver).
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ACTE LE PREMIER (mais pas le dernier, hélas)
Silvia ne veut pas épouser Dorante sans le connaître (parce qu’elle a peur que cela soit une autre nénette, après tout, Dorante, c'est pas un prénom de pouffe ?). Donc elle envoie sa femme de chambre dans sa place, à savoir Lisette (parasite qui ronge les bourgeons de la vigne).
Mais les grands esprits se rencontrent (ailleurs que dans cette pièce) et Dorante s’habille en valet (qui s’appelle Bourgignon car c’est un beauf - boeuf bourgignon, vous connaissez, non ?) pendant que son serviteur Arlequin (qui deviendra plus tard chef d’une grande maison de rédaction) pour se présenter. Monsieur Orgon (qui a inventé le Wurlitzer, d’où sa fortune) et son fils Mario (non, pas celui qui a inventé le jeu vidéo, c’est l’autre) sont au courant de ce qui se passe (au contraire du pauvre lecteur).
harold lloyd
ACTE LE DEUXIO (car jamais deux sans toi, hein ?)
Dorante et Silvia sont consternés de se retrouver séduits par des pauvres ploucs ignobles (bonjour les troussages de domestique) et les pauvres ploucs ignobles commencent à se prendre pour des grosses légumes (leur séduction mutuelle faisant le pois). Dorante, ne pouvant plus, se dévoile, au grand soulagement de Silvia (qui, elle, garde son burqa, l’histoire de voir comment tout va se dérouler, n’ayant pas lu la pièce jusqu’à sa fin pour savoir).
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ACTE CRIMINEL  LA CROTTE (the turd en anglais) :
Silvia tient à faire souffrir Dorante, ce sera la preuve de son amour (mais pas du sien) s’il abandonne la chipie friquée (elle-même) pour épouser la fausse femme de chambre (elle-même encore).  Mais le coup n’est pas réalisé avant que son frangin Mario (le super Mario Brother) l’aide à rendre jaloux ce stupide Dorante (ignorante). Ce n’est qu'à la nuit de noces où Silvia se dévoile, et là, ce sera trop tard pour sa proie (la poire). Arlequin et Lisette, eux, s’aimeront aussi, mais sans sous, et donc moins heureux que les deux pauvres riches.
famille
ACTE IV
Il n’y en a pas (ce sera donc un acte manqué).
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9.12.11

BUDGET

Pour Un mot. Une image. Une citation. :

Les temps sont durs ! La crise, elle est là !
Mais serrons les fesses et on trouvera…
On commence par Paris qui valait 1 messe,
Maintenant,  ½  et le reste à la caisse.

Les 2 Magots ne seront plus qu’1.
L’hôtel Georges V devient IV pour le fun.
(On y fera du 4 à 6 maintenant, mes amours !)
Et la Porte d’Orléans ira seulement à Tours.

La rue du Cherche-Midi sera maintenant à 10,
Et les 2 heures de moins seront pour  l’exer6
Pour bien arrondissementer à la fin du mois,
Vous direz vos vérités (ne seront que 3).

Enfin, le Pont 9 sera réduit à 8.
Le reste viendra, c’est pour – oui – moins de suite !
Allez, braves 0 ! Trinquons à la dette !
(On boira du K6  par manque de K7.)

4.12.11

LUDO

Pour En vos mots :

Tableau par Paolo Brabo



Après son dodo,
L’ado Ludo Tourneau
Tourna le dos,
 Lut les pages chronophages
Autant qu’il ne pût.

Sur son lit embelli
Par cette librophilie
Maniant sa manie
Ludo lut le génie
Autant qu’il ne pût.

Sa douleur relou
S’oublia surtout
Et partit pour partout
Quand il prisait et lisait
Autant qu’il ne pût.

2.12.11

MINTCHINE N'A PAS FAIM

Pour Mille et une :

Tableau par Abraham Mintchine


 Mange, ma belle,
Mintchine n’a pas faim.
Il est comme ce buveur que tu vois devant toi
Sur cette toile,
Un gars hardi, aux plaisirs simples,
Un ballon de  rouge, et peut-être deux.
Ou trois ou quatre si les poches de ses potes
N’ont plus de gros trous.
Car le vin est comme le pinceau,
Il fait oublier les exigences absolues :
Du pain pour manger,
Un toit pour abriter.
Du charbon pour réchauffer les bouts
Des petits doigts de notre enfant.
Non, ma belle, je t’en prie,
Mange.
Mintchine n’a besoin
De rien.


[NB : Mon texte est basé sur deux citations de  l'article de Wikipedia en anglais qui raconte que Mintchinem affamé, se privait de nourriture afin que sa femme mange et aussi qu'après avoir réalisé de l'argent pour ses oeuvres, il continuait à se priver en disant « Mintchine n'a besoin de rien.]

26.11.11

LE BOOK ÉMISSAIRE

Pour En Vos Mots :

Tableau par Mariola Bogacki


Rien n'est jamais fini
Sans paperasserie,
Mademoiselle, je regrette,
Même pas votre toilette !

Rien n'est jamais fini
Sans paperasserie,
Le vernudisme, c'est très tendance,
On se met à poil et puis on danse :

Car...
L'histoire n'est jamais finie
Sans paperasserie !

20.11.11

LA RÉPÉTITION MUSICALE

Pour En vos mots :

Tableau par Andrew Buriak

jojo joubert
aimait jouer
des tours
aimait jouer
aux tours
aimait jouer
autour

jojo joubert
aimait jouer
debout
aimait jouer
partout
aimait jouer
à tout

jojo joubert
aimait jouer
de tout
sauf de son
violon
dindon
sauf de son
violon

17.11.11

DE CONCERT

Pour Mille et Une :
Red Cello Quintet par Raoul Dufy


le menu
menuet
m’a émue
largamente

et
rubato
sa main
tenait la mienne

d’un air
riant
naissant
bruscamente

et
con fuoco
sa bouche
trouvait la mienne

et voilà,
la violence
du violoncelle,
fut désaltérée par l’alto
ma non troppo

14.11.11

ACCORD

Pour Un mot. Une image. Une citation :

Au mi-avril
Dans l’hémisphère nord
La grande aigrette
Donne son accord
Aux reflets sur l’eau
Rouges de tendresse

Moitié-enfant, moitié-homme, Jimmy était comme un oiseau, comme une grue, comme un héron maladroit. Quand son cri perçant faisait l’écho tout autour du bayou, les voisins hochaient sagement la tête, c’était Jimmy qui annonçait qu’il se couchait encore avec le soleil. Ses longs bras maigres couverts de bosses comme les racines de cyprès arrêteraient tôt ou tard d’agiter follement, et Big Donna, la vieille femme qui s’occupait de lui, pouvait enfin respirer, boire un verre, se masser ses pauvres pieds cornus et brutalisés des années à travailler debout, eux et leur maîtresse portant les traces d’une dure existence, cruellement gagnée.

Dans l’hémisphère nord
La grande aigrette
Donne son accord
Aux reflets sur l’eau
Au crépuscule sonore

On disait parfois que Jimmy était l’enfant d’amour de Doris Day et d’Yves Montand, avant que Montand ne tombe amoureux de Marilyn, mais après cette autre, la belle Française qui avait fait l’erreur de perdre trop tôt sa beauté, c’était comment qu’elle s’appelait encore ? D’autres fois, les vieilles dames chuchotaient que la fille de Big Donna avait couché avec son propre frère et que Jimmy était le fruit tordu de leur union infernale. On disait aussi que Little Donna avait voulu cacher ses péchés, qu’elle avait mis le petit corps encore tout chaud et moite du sien dans l’eau du bayou, que le petit a failli se noyer, et qu’on l’avait retrouvé le lendemain perché sur les racines d’un grand cyprès, entouré d’aigrettes qui faisaient leur cri bas et rauque. On disait aussi que, après que  l’enfant a été ramené chez elle, Big Donna avait pris sa fille par le cou et qu’elle le lui avait serré jusqu’à ce que ses deux yeux sortent de leurs orbites.

La grande aigrette
Donne son accord
Aux reflets sur l’eau
Au crépuscule sonore
Et rouge de tendresse

Même quand le pasteur de la petite église derrière la colline disait que Jimmy était un cadeau du ciel, les membres de son culte murmuraient tout bas que c’était quand même une honte et une abomination. Quelle sorte de dieu mettait un tel monstre sur la terre, un témoignage quotidien à son grand manque de pitié ? La punition de Little Donna, c’était de la justice, certes, mais pourquoi torturer l’enfant qui n’y avait été pour rien ? C’était clair que Jimmy souffrait, que la Big Donna souffrait, que la Little Donna, disparue depuis ces seize ans, avait horriblement souffert pour ses péchés réels ou imaginés. Les voisins du bayou hochaient toujours la tête. Et puis, les cris de Jimmy résonneraient encore dans le crépuscule.

Donne son accord
Aux reflets sur l’eau
Au crépuscule sonore
Et luisant de tendresse
La grande aigrette

Et puis,  la Big Donna est morte, comme ça, une nuit dans son sommeil. On avait découvert son corps gonflé le lendemain, lorsque les cris retintissants d’un Jimmy affamé devenaient trop forts pour ignorer. Entrant dans la cabane, les voisins regardaient le nœud confus d’os et de chair et de bosses sur son lit sali, sa bouche grand ouvert, ses yeux gluants qui les fixaient. Ils ont réfléchi très longtemps. Et puis ils ont su ce qu’il fallait faire. Doucement, ils ont emballé le grand corps maigrichon dans une couverture trouée, et ils ont ramené Jimmy au bayou, qu’il rentre encore dans son élément, là au pied du même cyprès où l’on avait découvert, entouré des aigrettes chantant pour Jimmy leur berceuse basse et rauque.

Aux reflets sur l’eau
Au crépuscule sonore
Et luisant de tendresse
La grande aigrette
Donne son accord.

Jusqu’aujourd’hui, on ne parle jamais de cette affaire, même pas le pasteur de la petite église derrière la colline. Mais le bayou, lui, s’en souvient.
 

13.11.11

DILEMME DU LENDEMAIN

Pour En vos mots :


Troublée, Louise faisait semblant de lire son journal.
Mais comment aurait-elle pu quitter Jean-Marc comme ça ?
Blanche de colère, les lèvres et les poings serrés…
..elle était partie tellement vite qu’elle a même oublié de se chausser.
Et maintenant, pas moyen de retourner chez lui sans avoir l’air d’une crétine.

8.11.11

Réflexion chez Sandrine

tout beau bombé
sera tombé
gravité oblige

Avenue des Ternes

Ce matin, j'avais
Une envie terrible,
Grise et froide,
De me retrouver
À Paris,
Sous la pluie,

Sous un parapluie
Emprunté,
Le béton
Luisant, les flaques
Applaudissant
Mes pas 

Et d'un coup,
J'ai senti
Ton parfum.

6.11.11

MURI

Pour En vos mots :

Tableau par Rose Franzen
Combien de fois avait-elle fait de la compote aux pommes ?

Voyons, elle avait commencé dans les jupons de sa grand-mère voici bien soixante ou soixante-cinq ans.

Et puis, elle aurait dû continuer avec sa mère, mais quand elle avait cinq ou six ans sa mère était partie un jour avec le voisin et son père n’a jamais voulu commencer avec les femmes, alors, c’était à elle, Muri, de faire toues les corvées de son père. Et elle a appris toute seule, et rapidement, parce que son père avait la main dure et l’habitude de lui filer des claques sur les oreilles si tout n’était pas à son goût.

Et puis, un jour quand elle avait onze ou douze ans, son père est mort, hurlant en agonie le nom de sa femme perfide. Muri ne se souvenait plus que des ses mains, enfin calmes mais encore dures comme des pierres.
Alors, c’était Tonton Charles qui a pris charge d’elle, à la plus grande satisfaction de sa femme, Florence. Florence avait un tempérament vif et cruel, et parfois quand la compote n’était pas à son goût, elle prenait Muri par les cheveux et la ramenait à la cuisine pour qu’elle recommence, cassant les bocaux luisants et encore chauds de leur cuisson. Parfois, il fallait toute une nuit pour nettoyer la cuisine, parce que Muri ne voulait pas que Florence épie un bout de pomme sur les placards.

Quand elle avait seize ou dix-sept ans, un homme est venu parler avec son oncle. Il était maigre et un peu gris. Il n’aimait pas la compote aux pommes, mais ses mains étaient aussi dures que celles de son père et sa humeur aussi maligne que celle de sa tante, et des années passaient où la vraie Muri avait tout simplement oublié d’exister. Oh, son corps étaient encore là, à faire le ménage, prendre des coups, mais le reste était ailleurs comme si son esprit avait pris un long voyage autour du monde, un voyage qui avait duré trois ou quatre décennies, jusqu’au jour où l’homme maigre et gris est mort d’une crise quelconque et enfin, Muri était libre, et son esprit pouvait revenir de son très long exil brumeux.

Alors, combien de fois avait-elle fait de la compote aux pommes ? Muri ne savait plus très bien.