OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

24.10.10

La petite robe noire

La petite robe noire qui avait tant servi devait servir une dernière fois. Delphine n’eut ni le temps ni l’envie de se payer une autre pour les obsèques de son homme.

C’était le genre de robe qui n’existe que dans les revues féminines ou dans les films. Delphine se rappelait parfaitement de son achat : elle l’avait épiée sans trop y croire.

Elle n’osa qu’à peine examiner l’étiquette. Par un miracle quelconque, c’était de sa taille. Elle l’avait rapidement saisie dans ses mains, comme si la robe allait s’enfuir. Aux cabines d’essayage, elle ne croyait pas ses yeux, ni sa chance…la petite robe noire lui allait à perfection ! Et pourtant, Delphine n’arrivait toujours pas à y croire…elle examina furtivement les coutures, l’ourlet, la fermeture…cette robe devait avoir une faille quelque part, sa perfection étant trop. Mais elle ne trouva rien, et c’était une des rares fois dans sa vie où le miroir semblait lui mentir. Pas mal. Pas mal du tout, ses yeux lui dirent. Delphine osa enfin sourire de triomphe.

Tout naturellement, elle la porta partout : aux cocktails, aux restaurants, à l’opéra, aux mariages comme aux obsèques. En hiver, elle mettait une veste ou un pull, selon la formalité de l’occasion. Un châle pour les soirées d’été, des perles pour les occasions les plus élégantes. La robe allait dans sa valise et sortait sans le moindre froissement.

C’était une robe de rêve.

Delphine ne pouvait pas croire qu’elle allait la porter pour la dernière fois lors des obsèques d’Harry.

Harry, qui était avec elle le jour où elle l’avait achetée.

Harry, qui avait accidentellement laissé tomber la robe en la sortant de la voiture à leur retour.

Harry, qui n’avait pas compris les cris de terreur émis par sa femme, ni ses larmes de colère, une fois qu’elle comprit que cette robe de rêve n’avait rien eu. C’était peut-être pour cela que l’homme ne loupait jamais l’occasion de dire à sa femme qui la robe lui allait bien, qu’elle était belle, qu’il était fier d’elle.

Harry, qui, tant bien que mal, l’avait aimée de tout son cœur.

Finalement, Delphine se demanda comment elle allait pouvoir la mettre sans entendre la voix de Harry dans son oreille, lui chuchotant des compliments audacieux et vaguement grivois pendant qu’il faisait semblant de remonter la fermeture à glissière, comment elle allait pouvoir la brûler après les obsèques, comment elle allait survivre sans une petite robe noire parfaite qu’elle avait tant aimée.

4 commentaires:

  1. Oh brige, tu peux pas savoir ce que cela veut dire !

    J'écris un livre, c'est une des nouvelles. Merci beaucoupissime pour ta réaction, cela m'encourage !

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  2. Alors, continue à écrire, j'aime beaucoup aussi.

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  3. Merci beaucoup Berthoise. J'apprécie. ♥

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