Le taxi, le train, le bus
Sont prévisibles.
Tu sais qu'à chaque arrêt,
On risque de descendre
Et te laisser seul encore
Sur ton chemin.
L'avion, c'est plus sûr,
Mais l'averti se méfie
Sagement
Du passager muni
De parachute.
OUATE ET VERRE
OUATE ET VERRE
31.10.10
30.10.10
Image par brige
Ces cheveux racontent
Une vie liée à celle des autres
et il y a tant de courage
Dans ce cou long et droit.
Ces yeux de philosophe
Regardent encore en haut
Cette bouche a connu
La faim, la joie, la douleur, l'extase.
Mais c'est cette poitrine
Qui raconte
Les cicatrices qui l'ont formée :
Ces traces des griffes, des flèches,
D'un couteau qui lui ont donné la vie :
Un héritage, un caractère.
Photo (c) Brigitte Celerier
republiée ici avec la permission de la photographe
29.10.10
Effectif
Son filet reluit au soleil
Mais le pécheur se fatigue.
Ses bras noués de muscles
Se figent le matin ; son réveil
Est pénible. Quasi-sourd, il
N'entend plus l'appel sirène
De la mer qui l'a sevré, jeune,
Et son vieux nez aplati par le vent
Ne sent plus le sel qui n'arrive même
Plus guère à brûler ses plaies.
Ses cheveux rabougris par l'âge
Qui lui murmure des obscénités
Blanchissent comme des nuages.
Et bientôt, il baissera les voiles
Et les bras, et retournera d'où il est venu.
Ses branchies poussiéreuses
Se refermeront pour du bon.
Mais le pécheur se fatigue.
Ses bras noués de muscles
Se figent le matin ; son réveil
Est pénible. Quasi-sourd, il
N'entend plus l'appel sirène
De la mer qui l'a sevré, jeune,
Et son vieux nez aplati par le vent
Ne sent plus le sel qui n'arrive même
Plus guère à brûler ses plaies.
Ses cheveux rabougris par l'âge
Qui lui murmure des obscénités
Blanchissent comme des nuages.
Et bientôt, il baissera les voiles
Et les bras, et retournera d'où il est venu.
Ses branchies poussiéreuses
Se refermeront pour du bon.
28.10.10
Comptine boîtante
Christopher Inconnu
Avait deux jambes
Avant de partir au pays
Où l'on bombe et l'on tue
Comme des hommes tordus
Comme font les bonnes gens envahies.
Christopher Inconnu
Avait deux jambes
Et maintenant il est cul-de-jatte.
Quelle chance qu'il a eue !
Car il a survécu !
Quelle chance ! quelle chance délicate !
Christopher Inconnu
Avait deux jambes
Pendant vingt-deux ans à courir
Et marcher partout
Armé jusqu'au cou
De jeunesse belle à mourir.
Christopher Inconnu
Avait deux jambes
Et l'envie de tuer, c'est ce qu'il faut.
Il vivra heureux
Soldat valeureux
D'un pays qui sombre dans les maux.
Avait deux jambes
Avant de partir au pays
Où l'on bombe et l'on tue
Comme des hommes tordus
Comme font les bonnes gens envahies.
Christopher Inconnu
Avait deux jambes
Et maintenant il est cul-de-jatte.
Quelle chance qu'il a eue !
Car il a survécu !
Quelle chance ! quelle chance délicate !
Christopher Inconnu
Avait deux jambes
Pendant vingt-deux ans à courir
Et marcher partout
Armé jusqu'au cou
De jeunesse belle à mourir.
Christopher Inconnu
Avait deux jambes
Et l'envie de tuer, c'est ce qu'il faut.
Il vivra heureux
Soldat valeureux
D'un pays qui sombre dans les maux.
27.10.10
Coup de coude
Arrête ta danse sur mes pauvr's deux pieds
J'ai déjà les orteils trop bien piétinés.
Arrête de manger dans ma pauvr' gamelle
La tienne est déjà trop grande, Gargamel !
Arrête de briller, arrête tes fournées !
Qui font que le soleil s'arrête de tourner.
J'en ai marre de ton ombre, c'est trop ombrageux,
Arrête ! Arrête ! C'est trop outrageux !
Arrête tout ça, ton jeu bringuebalant,
Les vertiges produits par ton trop grand talent !
Prends pitié des pauvres moins doués que toi.
Prends pitié des autres ! Prends pitié de moi !
J'ai déjà les orteils trop bien piétinés.
Arrête de manger dans ma pauvr' gamelle
La tienne est déjà trop grande, Gargamel !
Arrête de briller, arrête tes fournées !
Qui font que le soleil s'arrête de tourner.
J'en ai marre de ton ombre, c'est trop ombrageux,
Arrête ! Arrête ! C'est trop outrageux !
Arrête tout ça, ton jeu bringuebalant,
Les vertiges produits par ton trop grand talent !
Prends pitié des pauvres moins doués que toi.
Prends pitié des autres ! Prends pitié de moi !
26.10.10
Poulpeuse
On vit dans un âge où les poulpes sont plus sages que les hommes et plus regrettées lorsqu'elles meurent.
Grandir
-Cartier-Bresson, Sarajevo, Bosnia Hercegovina, 1965
À l'ombre, leur amitié restait chaleureuse
Au soleil, elle les désalterait,
Un mur, un chemin
Un bras autour des épaules
En tandem
Jusqu'au bout de la route.
Inaperçue, mais inexorable
La fêlure derrière elles
Jusqu'à la prochaine
Où l'une marcherait seule
Dans l'obscurité
L'autre oubliée ou délaissée, peut-être perdue
Au carrefour.
25.10.10
dépêches
la femme qui a perdu son nez
porte plainte contre le parfumier
un diabétique jette un pavé
à la vitrine de la confiserie
quelques indigents mettent le feu à la banque
et une édentée laisse une bombe
chez l'orthodontiste
le grand groupe anti-mouvement
bloque l'usine qui fabrique des clystères
et les anti-mondialistes auront bientôt
fait que le soleil
n'ait plus envie de se lever dans l'est
sur une autre étoile distante,
on nous regarde
et l'on se dit, tiens,
ce soir, je reste chez moi
porte plainte contre le parfumier
un diabétique jette un pavé
à la vitrine de la confiserie
quelques indigents mettent le feu à la banque
et une édentée laisse une bombe
chez l'orthodontiste
le grand groupe anti-mouvement
bloque l'usine qui fabrique des clystères
et les anti-mondialistes auront bientôt
fait que le soleil
n'ait plus envie de se lever dans l'est
sur une autre étoile distante,
on nous regarde
et l'on se dit, tiens,
ce soir, je reste chez moi
24.10.10
La petite robe noire
La petite robe noire qui avait tant servi devait servir une dernière fois. Delphine n’eut ni le temps ni l’envie de se payer une autre pour les obsèques de son homme.
C’était le genre de robe qui n’existe que dans les revues féminines ou dans les films. Delphine se rappelait parfaitement de son achat : elle l’avait épiée sans trop y croire.
Elle n’osa qu’à peine examiner l’étiquette. Par un miracle quelconque, c’était de sa taille. Elle l’avait rapidement saisie dans ses mains, comme si la robe allait s’enfuir. Aux cabines d’essayage, elle ne croyait pas ses yeux, ni sa chance…la petite robe noire lui allait à perfection ! Et pourtant, Delphine n’arrivait toujours pas à y croire…elle examina furtivement les coutures, l’ourlet, la fermeture…cette robe devait avoir une faille quelque part, sa perfection étant trop. Mais elle ne trouva rien, et c’était une des rares fois dans sa vie où le miroir semblait lui mentir. Pas mal. Pas mal du tout, ses yeux lui dirent. Delphine osa enfin sourire de triomphe.
Tout naturellement, elle la porta partout : aux cocktails, aux restaurants, à l’opéra, aux mariages comme aux obsèques. En hiver, elle mettait une veste ou un pull, selon la formalité de l’occasion. Un châle pour les soirées d’été, des perles pour les occasions les plus élégantes. La robe allait dans sa valise et sortait sans le moindre froissement.
C’était une robe de rêve.
Delphine ne pouvait pas croire qu’elle allait la porter pour la dernière fois lors des obsèques d’Harry.
Harry, qui était avec elle le jour où elle l’avait achetée.
Harry, qui avait accidentellement laissé tomber la robe en la sortant de la voiture à leur retour.
Harry, qui n’avait pas compris les cris de terreur émis par sa femme, ni ses larmes de colère, une fois qu’elle comprit que cette robe de rêve n’avait rien eu. C’était peut-être pour cela que l’homme ne loupait jamais l’occasion de dire à sa femme qui la robe lui allait bien, qu’elle était belle, qu’il était fier d’elle.
Harry, qui, tant bien que mal, l’avait aimée de tout son cœur.
Finalement, Delphine se demanda comment elle allait pouvoir la mettre sans entendre la voix de Harry dans son oreille, lui chuchotant des compliments audacieux et vaguement grivois pendant qu’il faisait semblant de remonter la fermeture à glissière, comment elle allait pouvoir la brûler après les obsèques, comment elle allait survivre sans une petite robe noire parfaite qu’elle avait tant aimée.
23.10.10
Jeter l'encre
Ne pas jeter l'encre
Vers celui qui se noie
Dans les eaux froides de l'indifférence,
Sans détourner la tête,
Sans déboucher l'oreille,
Sans dégeler le coeur,
Plus brutale que le coup de massue
Plus tranchante que le coup d'épée
Est l'absence du mot.
Vers celui qui se noie
Dans les eaux froides de l'indifférence,
Sans détourner la tête,
Sans déboucher l'oreille,
Sans dégeler le coeur,
Plus brutale que le coup de massue
Plus tranchante que le coup d'épée
Est l'absence du mot.
causa belli
Touche pas à ma vache sacrée, je l'ai connue génisse, t'as vu comme elle a grandi ? M'en fous si elle a piétiné ta gosse, t'avais qu'à ne pas la laisser se promener dans la rue.
Touche pas à ma vache sacrée, elle mettra encore
un veau dans ce bas monde, un veau à adorer,
un veau à montrer aux foules affamées,
qui baveront d'admiration.Touche pas
à ma vache sacrée,
je te préviens.
22.10.10
Dépouilles
Cela faisait un moment que la marée avait oublié d'y retourner. La plage se désséchait, se vidant peu à peu de tout ce qui y vivait, ses petits inhabitants avaient été brûlés vifs sous un soleil qui ne pensait plus qu'à lui-même.
Une mouette cria, indigne, et inconsciente de sa propre culpabilité dans l'affaire.
Cela faisait un moment que tout avait fini par ne plus penser aux vagues, au son de l'océan, à la brise qui la racompagnait, sentant l'algue et les origines de la vie.
Les nuages, indifférents, étaient repartis ailleurs. Le ciel gâteux restait là parce qu'il n'avait pas le droit d'abandonner son poste. Les tristes os d'un vieux cadavre, trop fatigués pour luire, s'enterraient dans le sable, essayant eux aussi de ne plus penser à rien, à personne.
- À quoi ça sert, demanda un grain de sable, que je me réjouisse de la revoir, cette marée haute depuis si longtemps si basse ?
- Mais ! je jouais au sphinx, répondit-elle. Tiens, je t'ai ramené des trésors !
Et la mer cracha, sur la plage dépitée, de l'or, des rubis, des momies portant des grimaces vulgaires.
- Trop peu ! cria la mouette affamée.
- Trop tard ! retentit le vide.
Une mouette cria, indigne, et inconsciente de sa propre culpabilité dans l'affaire.
Cela faisait un moment que tout avait fini par ne plus penser aux vagues, au son de l'océan, à la brise qui la racompagnait, sentant l'algue et les origines de la vie.
Les nuages, indifférents, étaient repartis ailleurs. Le ciel gâteux restait là parce qu'il n'avait pas le droit d'abandonner son poste. Les tristes os d'un vieux cadavre, trop fatigués pour luire, s'enterraient dans le sable, essayant eux aussi de ne plus penser à rien, à personne.
- À quoi ça sert, demanda un grain de sable, que je me réjouisse de la revoir, cette marée haute depuis si longtemps si basse ?
- Mais ! je jouais au sphinx, répondit-elle. Tiens, je t'ai ramené des trésors !
Et la mer cracha, sur la plage dépitée, de l'or, des rubis, des momies portant des grimaces vulgaires.
- Trop peu ! cria la mouette affamée.
- Trop tard ! retentit le vide.
21.10.10
Traversée
Une biche immobile au bord de la route
Ses yeux encore grands ouverts
Luisants encore de la surprise
Aveuglante d'un simple camion
Qui passe dans la nuit
Comme ton amour,
Là une seconde
Puis ébloui, écrasé dans celle d'après,
Une seconde qui a duré le temps
D'un battement de coeur
Le temps de faire jaillir
Ce noyau de rouge
Qui se trouve encore
Au bord de mes lèvres
Ses yeux encore grands ouverts
Luisants encore de la surprise
Aveuglante d'un simple camion
Qui passe dans la nuit
Comme ton amour,
Là une seconde
Puis ébloui, écrasé dans celle d'après,
Une seconde qui a duré le temps
D'un battement de coeur
Le temps de faire jaillir
Ce noyau de rouge
Qui se trouve encore
Au bord de mes lèvres
20.10.10
Rejeté
Il y a une dame qui est sure que tout ce qui brille est de l’or, et elle achète un escalier qui mène au paradis. Quand elle y arrivera, elle sait que si toutes les boutiques sont fermées, elle pourra, d’un seul mot, avoir tout ce qu’elle est venue chercher. Il y a un panneau affiché au mur, mais elle voudrait s’assurer, parce que, tu sais, parfois les mots ont un double sens.
Dans un arbre près du ruisseau, il y a un oiseau qui chante. Parfois, toutes nos pensées sont pleine d’appréhension. C’est à se demander…
Il y a un sentiment qui m’arrive lorsque je regarde vers l’ouest, et mon âme pleure de partir. Dans mes pensées, j’ai vu des ronds de fumée à travers les arbres et les voix de ceux qui restent à regarder.
Et l’on chuchote que bientôt, si nous demandons tous un air, que le fifre nous amènera à la raison, et qu’une nouvelle journée se lèvera pour ceux qui resteront longtemps, et les forêts résonneront de rires.
S’il y a du tracas sous vos haies, ne vous inquiétez pas, ce n’est qu’un petit ménage printanier pour la Reine de mai. Oui, il y a deux chemins que tu peux choisir, mais à long terme, il y a encore du temps pour changer la voie où tu te trouves.
Ta tête bourdonne, et cela n’ira pas, au cas où que tu ne le savais pas, le fifre t’appelle à le rejoindre.
Chère dame, pouvez-vous entendre siffler le vent, et savais-tu que ton escalier se trouve sur le vent chuchotant ?
Et pendant que nous poursuivons le chemin, nos ombres plus grandes que notre âme, il y marche une dame que nous connaissons tous, qui rayonne de lumière blanche, et qui veut montrer comment tout se transforme en or.
Et si tu écoutes très fort, la vérité te viendra enfin, quand tous seront un et un sera tous, comment être une pierre et ne pas rouler.
Et elle achète un escalier qui mène au paradis.
[Traduction des paroles par Jimmy Page et Robert Plant]
La Fouine (II)
J'appris cette nuit-là, non pas le secret de la Fouine, mais une bonne leçon sur le système digestif et ses particularités quant aux aliments exotiquement épicés. Khebdah quitta sa paillasse devant la porte de ma chambre et me fut d'une aide énorme pendant ma détresse. Plusieurs heures plus tard, je retrouvai mon lit, m'endormis enfin, et oubliai de suite tout détail de la soirée y compris ma curiosité pour la houri moche.
Le lendemain, Khebdah fit savoir à l'Ambassadeur Harnais que j'étais souffrant et l'Ambassadeur répondit qu'il faudrait faire mon tout pour assister au repas du midi.
Je pus alors me reposer ce matin-là, que je passai avec reconnaissance sur un grand coussin à côté de ma fenêtre d'où je pus observer la cour sur laquelle ma chambre donnait. Il s'y trouvait des palmiers, une sorte de piscine superficielle et toutes sortes de fleurs dont les couleurs me rappelaient les robes des demoiselles la veille. Je les imaginais celles-ci renfermées dans le sérail, jalousement gardées par les eunuques. Je me demandais ce qu'elles pouvaient bien faire pour s'occuper dans les longues heures où l'émir était pris, où il n'y avait pas d'invités à distraire, où...
En ce moment-là, j'aperçus une silhouette qui traversait rapidement la cour, et, à mon étonnement, je crus reconnaître la Fouine ! Mais que faisait-elle comme cela, à se promener seule, même sans duègne ? Elle portait dans ses bras un petit rouleau. Je me dis que c'était un tapis de laine, plus petit que ceux que j'avais admirés la veille, mais je remarquai des franges blanches et curieuses qui sortaient d'un bout du rouleau. Deux secondes après, elle disparut par une porte qui menait je ne sais pas où. Je dus m'endormir quelques minutes après, toujours un peu épuisé par les exigences dyspeptiques de la veille.
Je me réveillai en sentant la main de Khebdah sur mon épaule. Il m'aida à me baigner et à me préparer pour le repas du midi. L'émir avait envoyé des robes somptueuses comme cadeau et me pria de les porter à mon plaisir pour le reste du séjour. Khebdah dut m'aider avec ces vêtements insolites, mais c'est vrai que leur soie était agréable au toucher, et que leur couleur lumineuse m'allait particulièrement bien. Lorsque Khebdah me mit le keffieh, je me regardai dans le miroir qu'il me tendit, et je me trouvai tout à fait splendide.
Je commençais à penser que je serais même capable d'avaler un morceau au repas lorsque j'entendis un grand cri qui venait de la cour. J'allai à la fenêtre pour voir et devant mes yeux, je vis une des demoiselles du sérail à genoux, un petit paquet par terre devant elle. Je constatai tout de suite que c'était le rouleau que j'avais vu porter la Fouine quelques heures avant, et, avec horreur, que la franges que j'avais remarquées au bout du rouleau, étaient, en fait, la queue d'un petit chien blanc.
Son immobilité absolue et les cris déchirants de la fille à genoux me dirent, bien sûr, que le petit chien était mort. Khebdeh, très déconfit, me chuchota qu'il fallait bien partir pour aller manger, qu'il fallait surtout ne pas faire attendre son Altesse. Je reconnus tout de suite la justesse de cette réflexion, mais juste avant de tourner mon dos à cette scène horrifiante, je vis, du coin des yeux, une paire de lèvres étroites et grisâtres qui exposaient des dents tâchées et mal alignées dans un sourire malicieux.
(2006)
Le lendemain, Khebdah fit savoir à l'Ambassadeur Harnais que j'étais souffrant et l'Ambassadeur répondit qu'il faudrait faire mon tout pour assister au repas du midi.
Je pus alors me reposer ce matin-là, que je passai avec reconnaissance sur un grand coussin à côté de ma fenêtre d'où je pus observer la cour sur laquelle ma chambre donnait. Il s'y trouvait des palmiers, une sorte de piscine superficielle et toutes sortes de fleurs dont les couleurs me rappelaient les robes des demoiselles la veille. Je les imaginais celles-ci renfermées dans le sérail, jalousement gardées par les eunuques. Je me demandais ce qu'elles pouvaient bien faire pour s'occuper dans les longues heures où l'émir était pris, où il n'y avait pas d'invités à distraire, où...
En ce moment-là, j'aperçus une silhouette qui traversait rapidement la cour, et, à mon étonnement, je crus reconnaître la Fouine ! Mais que faisait-elle comme cela, à se promener seule, même sans duègne ? Elle portait dans ses bras un petit rouleau. Je me dis que c'était un tapis de laine, plus petit que ceux que j'avais admirés la veille, mais je remarquai des franges blanches et curieuses qui sortaient d'un bout du rouleau. Deux secondes après, elle disparut par une porte qui menait je ne sais pas où. Je dus m'endormir quelques minutes après, toujours un peu épuisé par les exigences dyspeptiques de la veille.
Je me réveillai en sentant la main de Khebdah sur mon épaule. Il m'aida à me baigner et à me préparer pour le repas du midi. L'émir avait envoyé des robes somptueuses comme cadeau et me pria de les porter à mon plaisir pour le reste du séjour. Khebdah dut m'aider avec ces vêtements insolites, mais c'est vrai que leur soie était agréable au toucher, et que leur couleur lumineuse m'allait particulièrement bien. Lorsque Khebdah me mit le keffieh, je me regardai dans le miroir qu'il me tendit, et je me trouvai tout à fait splendide.
Je commençais à penser que je serais même capable d'avaler un morceau au repas lorsque j'entendis un grand cri qui venait de la cour. J'allai à la fenêtre pour voir et devant mes yeux, je vis une des demoiselles du sérail à genoux, un petit paquet par terre devant elle. Je constatai tout de suite que c'était le rouleau que j'avais vu porter la Fouine quelques heures avant, et, avec horreur, que la franges que j'avais remarquées au bout du rouleau, étaient, en fait, la queue d'un petit chien blanc.
Son immobilité absolue et les cris déchirants de la fille à genoux me dirent, bien sûr, que le petit chien était mort. Khebdeh, très déconfit, me chuchota qu'il fallait bien partir pour aller manger, qu'il fallait surtout ne pas faire attendre son Altesse. Je reconnus tout de suite la justesse de cette réflexion, mais juste avant de tourner mon dos à cette scène horrifiante, je vis, du coin des yeux, une paire de lèvres étroites et grisâtres qui exposaient des dents tâchées et mal alignées dans un sourire malicieux.
(2006)
19.10.10
La Fouine (I)
C'était au début de ma carrière de diplomate. Tout par hasard, on m'eut choisi pour accompagner l'ambassadeur Harnais lors de sa première visite officielle à l'Émir de Radabayan.
Son palais était tout d'or, somptueux, ci et là brillaient des rubis, des émeraudes. L'émir lui-même, suivant la coutume de son pays, portait un collier de perles tellement grandes que je les croyais fausses.
Avant la fin de la visite, j'allais comprendre que je m'étais trompé.
C'était des vraies.
Dans la cour de l'Émir, il y avait naturellement plusieurs personnes,ses conseillers, ses servants, des eunuques, mais pour impressionner à l'occasion ses visiteurs occidentaux - dont le goût pervers était ici connu de tous - Radabayan avait l'habitude de faire venir aussi plusieurs demoiselles du sérail.
Lorsque celles-ci entrèrent dans la grande salle, j'eus l'impression de regarder un essaim de papillons, tous coloriés dans des bleus et des roses vibrants. Elles ne parlaient pas, mais assis à un mètre derrière
l'ambassadeur, j'entendais leurs petits rires légers qui étaient, pour mes oreilles inaccoutumées, comme les tintements de petites cloches d'argent. Ce fut en tout cas l'image qui me vînt en tête pendant que je
fermais les yeux pour mieux les entendre.
À mon grand étonnement, parmi tous ces parangons de vénusté, effectivement les plus belles femmes que j'aie jamais vues, avant ou depuis, j'en notai tout de suite une qui n'était pas comme les autres.
Celle-ci était tellement laide que, même si elle n'avait pas été entourée de ses ravissantes consoeurs, on l'aurait tout de même trouvée désagréable à voir. Pour être franc, et pas très courtois, je dois dire qu'elle avait une tête de fouine.
Ses petits yeux étaient ternes et très étroits, surmontés de sourcils à la couleur indifférente, et dominant un long nez osseux qui descendait jusqu'à la bouche. Les lèvres étaient étroites et grisâtres, comme
enchâssées sur un menton rond qui ressemblait curieusement à une petite pomme de terre. En la regardant de profil, je m'aperçus que son menton, en saillie, était presque parallèle à la crête de son nez. L'impression
en fut répugnante.
Au contraire de ses compagnes, elle ne recouvrait pas sa bouche lorsqu'elle riait, et je pus voir, même à cette distance, à quel point ses dents étaient étrangement tâchées et très mal alignées.
Ses mouvements manquaient de grâce, elle ne dansait pas comme les autres, et lorsque le groupe se mit à chanter, je crus entendre la voix d'un crapaud tant elle chantait faux.
Lors de la soirée, je n'arrêtais pas de me poser la question : que faisait cette femme, là, où elle n'avait aucune place ? Même les autres femmes semblaient un peu repoussées par elle, je pus noter que plusieurs changèrent de place lorsqu'elle se mettait à côté.
Je conclus enfin que c'était peut-être quelqu'un que l'Émir dut prendre par obligation politique, ou que c'était une pauvre dont il prit pitié. L'Émir était connu partout pour la générosité de son âme. Et puis, vaguement, j'eus l'idée que la Fouine devait être une de ces femmes dont j'avais entendu parler, la sorte qui savait faire un plaisir extrême aux hommes. Je n'avais pas encore connu ce genre de femme personnellement, mais je m'en étais imaginé lorsque mes camarades à l'école ou au cercle estudiantin en parlaient
Pour dire vrai, ce n'était pas la Fouine que j'avais imaginée, mais en y réfléchissant, je me dis que c'était fort probable.
Oui, c'était certainement ça, me dis-je. Cela expliquait pourquoi cette créature n'était pas au dehors à nourrir les bêtes dans les vastes étables du calife, comme toute autre personne qui restait mieux caché des yeux de ceux qui avaient l'habitude de regarder de belles choses.
La soirée prit fin et nous fûmes conduits à nos chambres. J'appris alors que je disposerais d'un serviteur pendant le séjour, c'était un garçon d'une douzaine d'années. Il s'appelait Khebdah.
C'était ce petit gars qui allait m'apprendre le secret de la Fouine.
(2006)
Son palais était tout d'or, somptueux, ci et là brillaient des rubis, des émeraudes. L'émir lui-même, suivant la coutume de son pays, portait un collier de perles tellement grandes que je les croyais fausses.
Avant la fin de la visite, j'allais comprendre que je m'étais trompé.
C'était des vraies.
Dans la cour de l'Émir, il y avait naturellement plusieurs personnes,ses conseillers, ses servants, des eunuques, mais pour impressionner à l'occasion ses visiteurs occidentaux - dont le goût pervers était ici connu de tous - Radabayan avait l'habitude de faire venir aussi plusieurs demoiselles du sérail.
Lorsque celles-ci entrèrent dans la grande salle, j'eus l'impression de regarder un essaim de papillons, tous coloriés dans des bleus et des roses vibrants. Elles ne parlaient pas, mais assis à un mètre derrière
l'ambassadeur, j'entendais leurs petits rires légers qui étaient, pour mes oreilles inaccoutumées, comme les tintements de petites cloches d'argent. Ce fut en tout cas l'image qui me vînt en tête pendant que je
fermais les yeux pour mieux les entendre.
À mon grand étonnement, parmi tous ces parangons de vénusté, effectivement les plus belles femmes que j'aie jamais vues, avant ou depuis, j'en notai tout de suite une qui n'était pas comme les autres.
Celle-ci était tellement laide que, même si elle n'avait pas été entourée de ses ravissantes consoeurs, on l'aurait tout de même trouvée désagréable à voir. Pour être franc, et pas très courtois, je dois dire qu'elle avait une tête de fouine.
Ses petits yeux étaient ternes et très étroits, surmontés de sourcils à la couleur indifférente, et dominant un long nez osseux qui descendait jusqu'à la bouche. Les lèvres étaient étroites et grisâtres, comme
enchâssées sur un menton rond qui ressemblait curieusement à une petite pomme de terre. En la regardant de profil, je m'aperçus que son menton, en saillie, était presque parallèle à la crête de son nez. L'impression
en fut répugnante.
Au contraire de ses compagnes, elle ne recouvrait pas sa bouche lorsqu'elle riait, et je pus voir, même à cette distance, à quel point ses dents étaient étrangement tâchées et très mal alignées.
Ses mouvements manquaient de grâce, elle ne dansait pas comme les autres, et lorsque le groupe se mit à chanter, je crus entendre la voix d'un crapaud tant elle chantait faux.
Lors de la soirée, je n'arrêtais pas de me poser la question : que faisait cette femme, là, où elle n'avait aucune place ? Même les autres femmes semblaient un peu repoussées par elle, je pus noter que plusieurs changèrent de place lorsqu'elle se mettait à côté.
Je conclus enfin que c'était peut-être quelqu'un que l'Émir dut prendre par obligation politique, ou que c'était une pauvre dont il prit pitié. L'Émir était connu partout pour la générosité de son âme. Et puis, vaguement, j'eus l'idée que la Fouine devait être une de ces femmes dont j'avais entendu parler, la sorte qui savait faire un plaisir extrême aux hommes. Je n'avais pas encore connu ce genre de femme personnellement, mais je m'en étais imaginé lorsque mes camarades à l'école ou au cercle estudiantin en parlaient
Pour dire vrai, ce n'était pas la Fouine que j'avais imaginée, mais en y réfléchissant, je me dis que c'était fort probable.
Oui, c'était certainement ça, me dis-je. Cela expliquait pourquoi cette créature n'était pas au dehors à nourrir les bêtes dans les vastes étables du calife, comme toute autre personne qui restait mieux caché des yeux de ceux qui avaient l'habitude de regarder de belles choses.
La soirée prit fin et nous fûmes conduits à nos chambres. J'appris alors que je disposerais d'un serviteur pendant le séjour, c'était un garçon d'une douzaine d'années. Il s'appelait Khebdah.
C'était ce petit gars qui allait m'apprendre le secret de la Fouine.
(2006)
16.10.10
Voyageuse
Comme une touriste qui défait sa valise
Elle déballe sa vie, tristesse acquise.
Les dessous sont un peu effilochés
Les dentelles un peu jaunies et débauchées,
La trousse de toilette maussade,
Ses fards un peu plus que fades.
Après tout, c'est une vie qui a servi,
Sévi, lessivé, dévalisé, enséveli,
Pas très glamour, quelque peu banale.
Elle enveloppe la passagère comme un châle
De prière hurlée dans la nuit sans réponse,
Mais honni soit qui mal y pense.
Au crépuscule, avant que la ville ne se rallume,
La visiteuse s'esquive aux ombres dans la brûme
Les lampadaires vacillent, hésitant
Entre chien et loup. Le coeur palpitant
Fait un grand saut et s'arrête.
Elle déballe sa vie, tristesse acquise.
Les dessous sont un peu effilochés
Les dentelles un peu jaunies et débauchées,
La trousse de toilette maussade,
Ses fards un peu plus que fades.
Après tout, c'est une vie qui a servi,
Sévi, lessivé, dévalisé, enséveli,
Pas très glamour, quelque peu banale.
Elle enveloppe la passagère comme un châle
De prière hurlée dans la nuit sans réponse,
Mais honni soit qui mal y pense.
Au crépuscule, avant que la ville ne se rallume,
La visiteuse s'esquive aux ombres dans la brûme
Les lampadaires vacillent, hésitant
Entre chien et loup. Le coeur palpitant
Fait un grand saut et s'arrête.
15.10.10
Langue française
c'est une rue que tu descends sans pouvoir la remonter
la cloche que tu ne peux pas désonner
la défaite que tu ne peux pas défaire
le mur de granit avec du fil barbelé et électrifié en haut
des éclats de verre cimentés dedans juste au cas où
en attente d'une impudente imprudente
qui essayerait d'y grimper
elle sont bien défendues
langue et intruse
les barbares ne passeront pas
la cloche que tu ne peux pas désonner
la défaite que tu ne peux pas défaire
le mur de granit avec du fil barbelé et électrifié en haut
des éclats de verre cimentés dedans juste au cas où
en attente d'une impudente imprudente
qui essayerait d'y grimper
elle sont bien défendues
langue et intruse
les barbares ne passeront pas
14.10.10
Paladin (II)
La vie nomade, paladin, descend du cheval opalin, monte sa tente et s'installe une nuit ou deux, l'intervalle de moments fructueux d'une nuit, voire deux...puis repart un matin avant l'aube, malin, trainant des grains de l'amour prodigue et l'odeur des figues, dans les plis.
13.10.10
Paladin
la vie nomade,
paladin,
descend du cheval
opalin,
monte sa tente et
s'installe
une nuit ou deux,
l'intervalle
de moments
fructueux
d'une nuit, voire
deux,
puis repart
un matin
avant l'aube,
malin,
trainant des
grains
de l'amour
prodigue
et l'odeur des
figues,
dans les plis
Queue
Dans la file d'attente,
Il y a parfois des gens
Qui ont la crampe
Mais ils résistent contre
Les exigeances de Nature
Qui ferait qu'ils perdent leur place dans la queue..
Alors, ils souffrent.
D'abord en silence,
Mais bientôt, ils s'agitent.
Ils sifflent pour faire passer le temps,
En rêvant des îles arides et désertes
Où l'on pisse et chie
Autant qu'on veut
En privé ou en public.
Trop souvent, il y a des sadiques
Devant eux qui prennent leur temps
En papotant
Ou en imitant les escargots
Pendant que quelqu'un derrière eux
S'agonise, torturé.
C'est ainsi que naissent,
Mesdames et messieurs,
Les assassins.
Il y a parfois des gens
Qui ont la crampe
Mais ils résistent contre
Les exigeances de Nature
Qui ferait qu'ils perdent leur place dans la queue..
Alors, ils souffrent.
D'abord en silence,
Mais bientôt, ils s'agitent.
Ils sifflent pour faire passer le temps,
En rêvant des îles arides et désertes
Où l'on pisse et chie
Autant qu'on veut
En privé ou en public.
Trop souvent, il y a des sadiques
Devant eux qui prennent leur temps
En papotant
Ou en imitant les escargots
Pendant que quelqu'un derrière eux
S'agonise, torturé.
C'est ainsi que naissent,
Mesdames et messieurs,
Les assassins.
12.10.10
Faulkner
Des faiblesses humaines,
L'auteur a reconstruit le monde,
Pas pour le meilleur
Mais sans doute pour nous punir :
Un dieu donc rancunier
Et vicieux.
L'auteur a reconstruit le monde,
Pas pour le meilleur
Mais sans doute pour nous punir :
Un dieu donc rancunier
Et vicieux.
11.10.10
Café
aussi chaud, aussi veloûté, aussi délicieux,
il passe quand même mieux
grâce aux brûlures du premier
il passe quand même mieux
grâce aux brûlures du premier
9.10.10
Frappe de serpent
Elle porte son hypocrisie
comme un rouge à lèvres hâtivement tiré sur des lèvres gercées.
Les écailles brillent à nouveau dans la lumière du jour
et cachent à peine ses crochets jaunis d'âge et de haine.
Les restes de son vénin dégoulinent au coin de sa bouche
fendue comme le sol des pays arides.
La souris atterrie devant elle
gigote encore, mais juste un peu.
8.10.10
Gratitude
C'est le stade, de nouveau à vide
Après le match
Les cris de la foule
Déjà repartie
C'est le vent un jour
De calme
L'océan à marée basse, l'oiseau envolé en migration
C'est une idée
Un souhait
Une déception
Le lion qui refuse d'avoir peur
Devant la chaise, le pistolet
Et le fouet
Après le match
Les cris de la foule
Déjà repartie
C'est le vent un jour
De calme
L'océan à marée basse, l'oiseau envolé en migration
C'est une idée
Un souhait
Une déception
Le lion qui refuse d'avoir peur
Devant la chaise, le pistolet
Et le fouet
7.10.10
Awaiting moderation
J'attends la modération :
Je suis le com' qui ploupe comme un cheveu sur la soupe.
Je suis la jeune débauchée et la vieille asthète.
Je suis la marchande qui voudrait que tu achètes.
J'attends la modération :
Quand je trouverai pédant de croquer dedans,
Quand je n'aurai plus envie de savoir ce que tu penses,
Quand je n'aurai plus mal devant tes mots et tes silences...
J'attends la modération :
Un jour, le monde girond tournera un peu plus rond.
Un jour, les crétins et les escrocs mourront de faim.
Un jour, Dieu sera démasqué et traité de villain.
Je suis le com' qui ploupe comme un cheveu sur la soupe.
Je suis la jeune débauchée et la vieille asthète.
Je suis la marchande qui voudrait que tu achètes.
J'attends la modération :
Quand je trouverai pédant de croquer dedans,
Quand je n'aurai plus envie de savoir ce que tu penses,
Quand je n'aurai plus mal devant tes mots et tes silences...
J'attends la modération :
Un jour, le monde girond tournera un peu plus rond.
Un jour, les crétins et les escrocs mourront de faim.
Un jour, Dieu sera démasqué et traité de villain.
Courses
lait
pain
pommes de terre
paix
péplum
tôme de l'air
pain
pommes de terre
laid
lapin
l'homme de terre
paix
pépin
pomme de père
les
lalains
l'homme de l'ère
paix
péplum
tôme de l'air
6.10.10
Le Soleil ne dit jamais
[ma traduction du poème par Hafíz]
LE SOLEIL NE DIT JAMAIS
Même
Après
Tout ce temps
Le soleil ne dit jamais à la Terre,
"Tu me
dois."
Regardez
Ce qui arrive
D'un tel amour,
Ça éclaire
Le ciel
Entier.
5.10.10
Grocery stories (II)
LA PETITE FILLE AU SUPER
Elle avait six ou sept ans, tout au plus, la petite aux longs boucles bruns
qui faisait la queue toute seule cet après-midi-là au supermarché.
Quand je lui souris, elle me parla.
- Pardon, pourriez-vous me dire si je peux acheter ces biscuits avec un
dollar et sept centimes ?
- Je ne sais pas, lui répondis-je, en regardant son paquet d'Oreos, mais
je veux bien aller voir au rayon biscuits.
J'étais un peu surprise mais enchantée qu'elle me raccompagne au rayon, tout
en me racontant que son papa lui avait fait entrer au magasin toute seule,
et tout comme il n'y avait pas d'étiquette sur le paquet avec le prix marqué
dessus, elle ne pouvait pas savoir si elle avait assez d'argent. Ses yeux
noirs étaient très sérieux. On sympathisait, en se disant que ce n'était
pas toujours facile de savoir, et qu'il faut souvent bien regarder les prix
affichés sur les étagères pour en être sûres et même lorsqu'on est sûres, on
peut se tromper.
On bavarda entre femmes, quoi.
En arrivant au rayon, j'aperçus tout de suite qu'elle n'avait pas assez
d'argent. J'avais bien l'intention de lui en « prêter » le reste, mais
lorsque je lui annonçai le vrai prix, elle remit vite son paquet, comme s'il
la brûlait.
Je la regardai, et je lui dis, « Hmm, hmm, voyons, qu'est-ce qu'on peut
bien acheter avec un dollar sept centimes ? »
Il y avait un paquet de biscuits similaires, mais d'une marque inconnue.
Leur prix, 99 centimes.
- Tiens, ces biscuits-ci sont presque la même chose, est-ce que ça t'irait
?
Elle me sourit et les prit.
Nous retournâmes à la caisse, je l'invitai à passer devant moi.
Elle dut se mettre en pointe afin de pouvoir mettre tous ses sous sur le
comptoir. La caissière lui expliqua gentiment qu'elle pouvait garder les
pièces et qu'elle allait même en recevoir encore une, la monnaie de son billet.
- Dis-moi, lui fis-je, avant qu'elle ne parte. Tu vas pouvoir manger tous
ces biscuits toi-même ?
- Non, avoua-t-elle en soupirant. J'ai des frères.
(juin 2005)
Elle avait six ou sept ans, tout au plus, la petite aux longs boucles bruns
qui faisait la queue toute seule cet après-midi-là au supermarché.
Quand je lui souris, elle me parla.
- Pardon, pourriez-vous me dire si je peux acheter ces biscuits avec un
dollar et sept centimes ?
- Je ne sais pas, lui répondis-je, en regardant son paquet d'Oreos, mais
je veux bien aller voir au rayon biscuits.
J'étais un peu surprise mais enchantée qu'elle me raccompagne au rayon, tout
en me racontant que son papa lui avait fait entrer au magasin toute seule,
et tout comme il n'y avait pas d'étiquette sur le paquet avec le prix marqué
dessus, elle ne pouvait pas savoir si elle avait assez d'argent. Ses yeux
noirs étaient très sérieux. On sympathisait, en se disant que ce n'était
pas toujours facile de savoir, et qu'il faut souvent bien regarder les prix
affichés sur les étagères pour en être sûres et même lorsqu'on est sûres, on
peut se tromper.
On bavarda entre femmes, quoi.
En arrivant au rayon, j'aperçus tout de suite qu'elle n'avait pas assez
d'argent. J'avais bien l'intention de lui en « prêter » le reste, mais
lorsque je lui annonçai le vrai prix, elle remit vite son paquet, comme s'il
la brûlait.
Je la regardai, et je lui dis, « Hmm, hmm, voyons, qu'est-ce qu'on peut
bien acheter avec un dollar sept centimes ? »
Il y avait un paquet de biscuits similaires, mais d'une marque inconnue.
Leur prix, 99 centimes.
- Tiens, ces biscuits-ci sont presque la même chose, est-ce que ça t'irait
?
Elle me sourit et les prit.
Nous retournâmes à la caisse, je l'invitai à passer devant moi.
Elle dut se mettre en pointe afin de pouvoir mettre tous ses sous sur le
comptoir. La caissière lui expliqua gentiment qu'elle pouvait garder les
pièces et qu'elle allait même en recevoir encore une, la monnaie de son billet.
- Dis-moi, lui fis-je, avant qu'elle ne parte. Tu vas pouvoir manger tous
ces biscuits toi-même ?
- Non, avoua-t-elle en soupirant. J'ai des frères.
(juin 2005)
Grocery stories (I)
Au supermarché les deux caissières s'entrebavardaient pendant que l'une
passait mes achats sur son scanneur.
- C'est bientôt mon anniversaire de mariage, dit l'une.
- Ouais ? répondit la mienne.
- Tu es mariée ? s'étonna la fille qui rangeait mes achats dans des
sachets.
- Je ne suis pas divorcée ! insista Blondie.
- Oui ? quel jour ? demanda la mienne.
- Le quatorze février. Cela fera huit ans.
Silence. Finalement, la petite rangeuse remarqua d'une petite voix
qu'elle pensait que Blondie vivait seule.
- Effectivement ! rit Blondie. Je ne l'ai pas vu depuis sept ans et
demie. Lui, il vit dans l'Oklahoma. Mais on est toujours mariés. En
tout cas, on ne s'est jamais divorcés.
Tout le monde dans les deux queues la regarda, sans plus rien dire.
Après quelques secondes, elle continua, « Il s'appelle Chester ».
Et puis elle sourit très grand.
(janvier 2006)
passait mes achats sur son scanneur.
- C'est bientôt mon anniversaire de mariage, dit l'une.
- Ouais ? répondit la mienne.
- Tu es mariée ? s'étonna la fille qui rangeait mes achats dans des
sachets.
- Je ne suis pas divorcée ! insista Blondie.
- Oui ? quel jour ? demanda la mienne.
- Le quatorze février. Cela fera huit ans.
Silence. Finalement, la petite rangeuse remarqua d'une petite voix
qu'elle pensait que Blondie vivait seule.
- Effectivement ! rit Blondie. Je ne l'ai pas vu depuis sept ans et
demie. Lui, il vit dans l'Oklahoma. Mais on est toujours mariés. En
tout cas, on ne s'est jamais divorcés.
Tout le monde dans les deux queues la regarda, sans plus rien dire.
Après quelques secondes, elle continua, « Il s'appelle Chester ».
Et puis elle sourit très grand.
(janvier 2006)
4.10.10
Dépêches de la bataille
Le ciel jette ses filets de nuages
Dans le but d'attraper la chaleur
Et de la retenir, prisonnière.
Mais l'armée du soleil s'en va vers le sud
Et donne l'ordre assassin :
Pas de prisonniers !
Et l'automne, bon soldat,
S'exécute.
Dans le but d'attraper la chaleur
Et de la retenir, prisonnière.
Mais l'armée du soleil s'en va vers le sud
Et donne l'ordre assassin :
Pas de prisonniers !
Et l'automne, bon soldat,
S'exécute.
3.10.10
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