OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

5.10.08

État de Grâces

Écriture ludique n° 3 Écrire un texte qui commence par "Tout est Pur pour qui est Pur" et qui se termine par :"aujourd'hui je confesse mes Grâces"

Tout est pur pour qui est pur, nous bourdonnait continuellement Sœur Agathe. Nous l’appelions Dablouze, et une de ma bande, Alice, osait le dire à chaque fois encore plus fort. Alice était une petite chipie, certes, mais puisque son papa était riche, la surdité des bonnes sœurs du couvent ne risquaient pas de guérir miraculeusement un soir aux Vêpres. Alors, Alice, dans ses jupes de laine, leurs hauts enroulés plus que permises afin qu'on voie ses cuisses, expliqua-t-elle, jouissait d’une liberté inouïe.

Il n’y avait que le vieux père Sabertin qui semblait garder une envie de dompter Alice, de lui apprendre qu’elle irait vite à l’Enfer si elle ne se repentait pas vraiment, et sincèrement. Nous avions toutes peur de lui, de sa bouche remplie de dents pointues, de ses lèvres maigres et ascétiques. Toutes sauf Alice, qui, un jour, avait oublié de baisser sa tête lorsque le vieux saint lui faisait ses reproches rancunières. Elle lui regarda droit dans les yeux, et j’aurais juré, en dépit de la mauvaise lumière, que le vieux prêtre rougissait. Et je sais que c’est lui qui avait baissé ses yeux le premier.

Oui, je me souviens très bien de ce soir-là. Après le dîner, Alice avait mis une culotte de dentelle noire qu’elle avait piquée à sa sœur Jackie qui avait presque vingt ans et qui allait avec les grands, comme Alice aimait dire. Ce soir-là Alice est venue nous faire voir comment la culotte lui allait. Elle nous a fait admirer ses deux fesses rondes et roses, caressées par les traces noires de la dentelle. Du devant, elle était moins jolie, à mon avis, mais les autres filles, envieuses de son ventre plat et ses cuisses rondes, ne semblaient pas être d’accord avec moi.

Et puis, comme ça, c’était fini. Alice était revenue quelques heures plus tard de sa mission secrète, ses yeux humides, ses lèvres plus roses et plus larges que d'habitude. J''aperçus au clair de la lune qui filtrait par la fenêtre que où qu’il fût qu'Alice put se rendre ce soir-là, elle avait oublié de rapporter la célèbre culotte en rentrant. Pendant qu’elle se déshabillait silencieusement devant son lit, sur une de ses fesses parfaites, je vis, luisant, dans la lumière froide, une marque obscure et noire, comme une morsure égarée qui faisait pourrir une jolie pêche. Je n’en comprenais rien, et j’étais heureuse de me rendormir, sachant qu’Alice nous raconterait le tout le lendemain matin.

Mais personne ne revit Alice. Même avant la fin des prières matinales, une grande Rolls noire attendait devant la grille du jardin ; cette voiture repartit avec ma copine, celle qu'on sut faire disparaître, miraculeusement, de ce petit monde du couvent.

Sans le mauvais exemple d’Alice, j’appris rapidement à me calmer, à céder à ma douceur naturelle, et je finis par devenir bonne sœur. C’est demain que je fêterai mes vingt-cinq ans de mariage avec Jésus.

Aujourd’hui, je confesse mes Grâces.

14 commentaires:

  1. drole de contrainte, et jolie exploitation
    ..mais ce qui m'inquiète c'est le titre du précédent billet, et je m'en vais y voir

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  2. Anonyme1:35 PM

    superbe ... je trouve que c'est une des meilleures participations à ce difficile exercice, et c'est pas parce que t'es ma cop's!!!
    je suis contente que tu puisses publier depuis ce blog chez Ecriture Ludique, c'est cool que ce soit plus souple que ce que je pensais
    biz biz ;)

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  3. Merci brige ! T'inquiète pas !!!

    mariev : Oh, vraiment ? Wah, cela me fait vraiment TRES plaisir ! Merci de me soutenir ainsi, et merci aussi de m'avoir encouragée à publier chez Écriture ludique ! Je te dois une fière chandelle ! Que dis-je, je t'en dois plusieurs !

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  4. Anonyme2:21 PM

    Chiche !

    « Tout est pur pour qui est pur ! » Cette phrase que nous martelait Sœur Agathe, il y a si longtemps, avait resurgi du fond de ma mémoire. Après vingt-cinq ans de bons et loyaux services avec Jésus, pas une anicroche, pas la moindre pensée irrévérencieuse, pas la moindre velléité d’aller voir ailleurs et voilà, depuis que je l’avais rencontré, cette phrase me revenait sans cesse pendant mes prières, mes occupations de la journée. Elle hantait désormais mes jours et mes nuits, pourtant habituellement si habités de la présence de Dieu.

    Quelle idée aussi de la part de la mère supérieure de m’avoir mise à l’accueil du couvent. Nous avions nous aussi succombé aux charmes des attraits touristiques et, près de l’accueil, nous avions aménagé une petite boutique où nous vendions les légumes et les fruits du potager dont nous nous occupions. Et, comme il fallait bien retenir le chaland, nous proposions également quelques produits dérivés (miel de sapin de la région, pain d’épices, cartes postales sur les fruits, légumes et épices …) et quelques rangées de livres sur les ballades à ne pas manquer dans ce coin tranquille, sur les arbres et les fleurs de nos contrées, sur l’art des jardins, sur le jardinage, et quelques romans … C’est ce qui allait bientôt causer mes errements et ma perte.

    Jusque là, les prières de nuit, les prières de Laudes, la messe, les lectures ou les prières, les Vêpres rythmaient et berçaient ma journée. Tous les jours, je me rendais au potager dont j’avais la charge avec d’autres sœurs et c’était mon moment de détente, de liberté. Je voyais avec émerveillement croître et embellir tous les semis que nous avions faits : carottes, oignons, poireaux, navets, citrouilles, coloquintes et autres courges, tomates de toutes les couleurs, salades, choux, plantes aromatiques … j’attendais avec impatience les premiers frémissements des arbres fruitiers et leurs floraisons éclatantes, et que Dieu me pardonne, je buvais la rosée déposée sur les fleurs lorsque les jours commençaient à raccourcir. Je savais me contenter de peu.

    Et, puis, du jour au lendemain, je me suis retrouvée bien loin du potager. Je passais maintenant mes après-midis, derrière un comptoir, à renseigner les promeneurs du dimanche et ceux de la semaine, à ranger les affaires sur les présentoirs, à rendre la monnaie, enfin plein d’occupations qui n’étaient pas faites pour moi, mais je ne pouvais pas désobéir à la mère supérieure. Et, c’est alors que j’ai commencé à ressentir quelques émois inhabituels.

    Au début, je n’y avais pas prêté une attention particulière, mais il m’était apparu avec évidence au bout de quelques temps, qu’une silhouette flânait plus qu’une autre dans cette petite boutique. C’était celle d’un homme dans sa maturité qui s’attardait régulièrement dans le coin des livres et des romans. Et je m’étais habituée à le voir assez régulièrement et mon cœur, lorsqu’il était là, battait la chamade. Je ressentais un émoi particulier que je n’avais jamais connu auparavant. Et, lorsqu’il restait absent plusieurs semaines de suite, j’attendais sa venue avec impatience. Je me disais que ce n’étaient pas des pensées raisonnables, que les prières allaient me guérir de ces tourments, que ma vie était là, recluse, dans ce couvent, dans le silence.

    Eh, oui, je me souvenais de ma copine Alice et de son incartade d’un soir, et bien non cela ne m’arriverait pas, je ne chercherais pas à lui parler, je ne l’aguicherais pas. Mais que diable ! Un jour, il est revenu et il m’a gentiment adressé la parole et j’ai fondu, les mots sont restés noués au fond de ma gorge. J’ai quand même dû lui répondre quelque chose de pas trop idiot puisqu’il est régulièrement revenu me voir avec toujours quelques nouvelles questions. Et maintenant, j’arrivais à lui répondre un peu plus détendue.

    Et puis, voilà, un jour pas comme les autres, il m’a proposé de l’accompagner à l’extérieur du couvent, et moi je l’ai suivi, sans regret, sans un regard sur mes longues années passées dans la prière et le recueillement.

    Aujourd’hui je confesse mes Grâces.

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  5. Anonyme4:36 AM

    SUPER Joye ! Une contrainte respectée à la lettre.
    Un texte qui coule naturellement comme une rivère !
    Un énorme bravo !
    Je reviendrai te lire ici !

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  6. myriam : EXCELLENT !!! Dis, tu as un blog ???

    MAP : Merci beaucoup !!!

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  7. Anonyme9:38 AM

    Oui, je viens de démarrer récemment à quatre mains un blog sur la peinture, et c'est en cherchant une peinture de Hopper "Chambre d'hôtel" que j'ai découvert ton blog, et je suis impressionnée par ton imagination et ta sensibilité.

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  8. Anonyme10:02 AM

    Ah chouette !

    On peut le voir, ton blog ?

    (excuse-moi si je ne suis pas discrète, je suis Américaine, tu sais, nous n'avons pas de manières...;-))

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  9. Anonyme1:10 PM

    Oui ! bien sûr qu'on peut le voir ! il s'appelle "Bleu de Cobalt", et je t'invite volontiers à venir y faire une incursion.

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  10. Anonyme4:33 AM

    Bravo ! Je n'avais pas voulu lire quoi que ce soit sur cet exercice avant de publier le mien. Nous sommes dans la ligne spirituelle toutes les deux mais j'aime mieux le tien !

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  11. Merci beaucoup pour ton com', Monique !!! Je viendrai lire ton texte.

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  12. j'aurais du m'en souvenir et lire celui de Polly aussi avant de pondre un truc pesant pour être mis en ligne ce soir.
    Je n'avais lu que deux ou trois textes prenant les mots au ras d"une petite "philosophie".
    Penser à raconter une histoire, toujours ! bon tant pis je garde mais shame of me

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