Tableau par Rose Franzen |
Combien de fois avait-elle fait de la compote aux pommes ?
Voyons, elle avait commencé dans les jupons de sa grand-mère voici bien soixante ou soixante-cinq ans.
Et puis, elle aurait dû continuer avec sa mère, mais quand elle avait cinq ou six ans sa mère était partie un jour avec le voisin et son père n’a jamais voulu commencer avec les femmes, alors, c’était à elle, Muri, de faire toues les corvées de son père. Et elle a appris toute seule, et rapidement, parce que son père avait la main dure et l’habitude de lui filer des claques sur les oreilles si tout n’était pas à son goût.
Et puis, elle aurait dû continuer avec sa mère, mais quand elle avait cinq ou six ans sa mère était partie un jour avec le voisin et son père n’a jamais voulu commencer avec les femmes, alors, c’était à elle, Muri, de faire toues les corvées de son père. Et elle a appris toute seule, et rapidement, parce que son père avait la main dure et l’habitude de lui filer des claques sur les oreilles si tout n’était pas à son goût.
Et puis, un jour quand elle avait onze ou douze ans, son père est mort, hurlant en agonie le nom de sa femme perfide. Muri ne se souvenait plus que des ses mains, enfin calmes mais encore dures comme des pierres.
Alors, c’était Tonton Charles qui a pris charge d’elle, à la plus grande satisfaction de sa femme, Florence. Florence avait un tempérament vif et cruel, et parfois quand la compote n’était pas à son goût, elle prenait Muri par les cheveux et la ramenait à la cuisine pour qu’elle recommence, cassant les bocaux luisants et encore chauds de leur cuisson. Parfois, il fallait toute une nuit pour nettoyer la cuisine, parce que Muri ne voulait pas que Florence épie un bout de pomme sur les placards.
Quand elle avait seize ou dix-sept ans, un homme est venu parler avec son oncle. Il était maigre et un peu gris. Il n’aimait pas la compote aux pommes, mais ses mains étaient aussi dures que celles de son père et sa humeur aussi maligne que celle de sa tante, et des années passaient où la vraie Muri avait tout simplement oublié d’exister. Oh, son corps étaient encore là, à faire le ménage, prendre des coups, mais le reste était ailleurs comme si son esprit avait pris un long voyage autour du monde, un voyage qui avait duré trois ou quatre décennies, jusqu’au jour où l’homme maigre et gris est mort d’une crise quelconque et enfin, Muri était libre, et son esprit pouvait revenir de son très long exil brumeux.
Alors, combien de fois avait-elle fait de la compote aux pommes ? Muri ne savait plus très bien.
elle l'aime encore ?
RépondreSupprimerpardon.. j'aime ton histoire
Je pense que Muri est une femme qui n'a jamais pu aimer parce qu'elle n'osait pas.
RépondreSupprimerPendant quelques secondes, j'ai failli la transformer en empoisonneuse, et puis j'ai décidé que le texte serait meilleur et plus véridique si elle restait une femme tout simplement mal lotie par le sort jusqu'au point où elle a perdu tout sens de temps, que j'ai essayé d'indiquer à chaque fois que je donnais son âge ou une longueur de temps.
Très joli texte.
RépondreSupprimerTu aurais bien pu la transformer en empoisonneuse, rien que pour lui permettre de se venger des hommes, de ces hommes qui l'ont tant maltraitée.
Muri n'a pas eu de chance, ni avec la vie, ni avec les hommes.
Pourtant, il doit bien exister des honnêtes hommes, non ?
Des hommes qui lui auraient changé sa triste vie.
L'enseignement que j'en tire, c'est qu'il faut toujours se méfier des "hommes maigres et un peu gris" :o)
Elle n'a pas eu de chance avec les femmes non plus, sa tante la brutalisait et sa mère l'a abandonnée.
RépondreSupprimerLa pauvre chose.