OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

10.9.11

ASTRAL

Pour le Défi du samedi :

À six ans, j’appris à faire le café, couper les tartines et les beurrer pour le petit déjeuner. Papa buvait toujours son bol sans mot et après, en s’essuyant ses moustaches avec le dos de sa grande main dure et calleuse, me sourit enfin et me dit que c’était bon. Il disait toujours ça, même quand le café était un peu brûlé ou quand je devais mettre de l’eau dans le lait parce que nous n’avions pas assez de lait, ou quand il n’y avait vraiment pas de beurre sur le pain.
Ensuite, Papa prenait sa veste et sa boîte d’outils et repartait pour la planète Jupiter.
Bon, c’est ce qu’il disait. Et quand j’avais six ans, je le croyais.
Plus tard, je serais moins sûre.
La porte refermée derrière lui, je commençai mes tâches. Je lavais les bols dans l’évier, j’essuyais la table et je ramassais les miettes pour les mettre sur le seuil dans la chambre de maman. Le matin, elle aimait bien regarder les oiseaux qui venaient déjeuner avec elle. La nuit, elle se mettait devant la fenêtre pour regarder les étoiles, tenant une vieille lunette d’approche devant un œil ou l’autre.
J’attendais qu’elle gémisse pour entrer dans sa chambre avec un verre d’eau. C’était notre rite. Maman ne buvait pas de café. Dans le verre d’eau, elle mettait six gouttes du liquide dans la petite bouteille noire. Pas plus. Pas moins. Je regardais toujours attentivement parce que je savais qu’un jour, comme pour le petit déjeuner de Papa, ce serait à moi de les préparer et je voulais être prête.
Mais ce matin-là, la chambre – et maman – restait silencieuse. J’avais appris que son sommeil était rare et précieux et qu’il ne fallait pas le troubler, mais après deux heures d’attente, je commençais à m’inquiéter. Les oiseaux qui m’attendaient sur le seuil avaient sûrement faim, non ?
Alors, j’ouvris la porte et jetai un coup d’œil vers le lit.
Maman n’y était pas.
J’ouvris plus large. Le lit était vide. Il n’y avait personne sous le duvet.
Enfin, j’ouvris complètement la porte et je vis ma mère devant la fenêtre. La lumière rendait transparente sa chemise de nuit, l’ombre de son corps semblait bouger en avant et en arrière, comme un arbre lorsque le vent soufflait fort. Elle avait jeté ou laissé tomber la vieille lunette d’approche.
- Maman ?  dis-je, un peu effrayée.  Elle se retourna lentement.
- Ah, bonjour !  Dis, tu arrives juste à temps !  Je repars vers les étoiles. C’est pour très bientôt, je viens de voir passer la carène du navire qui m’emmènera. Oh, je vais enfin les retrouver tous - mon oiseau indien bien aimé, et mon petit cheval…
Elle se retourna vers la lumière.
Et puis, comme ça, elle était partie par la fenêtre pour les rejoindre.
Je ramassai sa lunette d’approche. Son gros verre était cassé.
J’attendai.
Au crépuscule, Papa serait de retour de Jupiter et il saurait quoi faire.

4 commentaires:

  1. peut être l'aura-t-il vu passer depuis Jupiter et sera-t-il parti à sa suite pour essayer de la ramener

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  2. Peut-être !
    (mais j'ai comme un doute, brige)

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  3. Comme quoi tout est affaire de lunette ou de verre grossissant..
    D' approche comme vous le précisez, là est l'essentiel !

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  4. Intéressant, Staive !

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