Le temps sert à soulager la douleur, il finit aussi par effacer tous nos souvenirs, mais l’image du vieillard et sa lanterne rouge reste brillante dans mon imagination. Elle me revient de plus en plus souvent ces jours-ci, toujours aussi vivide.
C’est celui-là le plus précoce de tous mes souvenirs. Je n’avais pas encore l’âge de parler beaucoup, mais je savais marcher et je me rendais compte que la dame qui me portait lorsque mes jambes ne pouvaient plus n’était pas ma mère. Je tremblais d’une émotion qui m’était jusqu’alors inconnue, plus tard j’appris que les autres l’appelaient Peur.
Quelqu’un avait volé le jour et la lumière et la chaleur, mon petit monde à présent n’était que noir et froid. Je m’étais endormie ou évanouie, et en revenant vers la conscience, j’entendais de longs hurlements. Des bras me tenaient contre un manteau que je ne reconnaissais pas. J’avais envie de faire pipi, mais il n’y avait personne pour trouver le pot, et, finalement, au fond de mon cerveau enfantin, quelque chose me disait qu’il n’y avait pas de pot non plus.
Tout était silence sauf un clak-clak constant et je resombrais dans l’étourderie jusqu’à ce que des voix furieuses me réveillent. Je ne sais pas ce qu’elles disaient, mais en m’ouvrant les yeux contre une lumière de petit jour qui passait par des fentes, je vis un vieillard qui tirait sur un objet. C’était une vieille lanterne rouge.
Je reconnus l’action d’autres mains qui tiraient, elles aussi, sur la lanterne. Des mains m’avaient récemment tirée comme ça de mon lit, un petit garçon avait tiré comme ça sur mon ballon bleu au parc un jour. Je savais que j’avais fini par tomber, là, dans le parc, et d’un coup, je braillais, parce que je m’étais tombée, cette fois-là, et je me suis brûlé les genoux sur les petits caillous. Certains étaient restés dans ma peau, ils piquaient alors comme tout me piquait présentement.
Je hurlai.
Une main couvrit immédiatement ma bouche, une autre pinçait mon bras. Je vis par-dessus des doigts que le vieillard, son visage fondu comme la cire des chandelles sur la table le vendredi soir, encore plié dans un demi-sourire triomphal. Il avait réussi à reprendre sa lanterne.
De nouveau, je perdis conscience et me réveillai encore lorsqu’un poids lourd tomba sur moi. Cela sentait le tabac. Je crus reconnaître le manteau du vieillard. Il y avait encore des voix aiguës, il y avait encore la voix pipante et cassée du vieux.
Tout d’un coup, une grande porte s’ouvrit. Les voix dans la pièce se turent immédiatement et d’autres, rauques, venant d’ailleurs, grattaient mes oreilles. Une voix près de moi s’éléva et puis une autre, et aussitôt, je vis des mains et des pieds qui poussaient mon vieillard vers la lumière.
-- Ma lanterne ! cria le vieillard, déjà disparu dans la lumière.
Je la vis à mes pieds et dans les secondes qui suivaient, je vis le bras d’un gros monsieur qui lança la lanterne vers la lumière.
J’entendis alors, dans le silence choqué, un son que je n’avais jamais entendu et que je n’ai jamais entendu depuis, un peu comme le son d’une pastèque qui s’ouvre sous le couteau, un peu comme un œuf qu’on craque contre le bol afin de déverser son contenu dedans et jeter la coquille.
Le son était suivi par des rires, grands et forts au dehors, petits et étouffés à l’intérieur.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’allai moi aussi vers la lumière, un peu bousculée par les jambes des adultes et, arrivés aux bords, moi et les autres vîmes le vieillard, allongé sur le quai dans une flaque de pipi rouge qui arrivait jusqu’aux bords de la lanterne, cassée en morceaux à côté de lui.
Et puis, on referma la porte.
Spooky...
RépondreSupprimerJe suis vraiment attristée par le manque de commentaires pour mon texte. Je ne le trouve pas si mal que ça.
RépondreSupprimerBah.. il est pas si ml que ça, joye ;) d'une tonalité
RépondreSupprimerbien soutenue jusqu'à la cadence triomphale et tonique de la fin.. couleurs, toutes dans les pastels sombres d'un camouflage qui aide à se cacher dans les forêts sombres. J'imagine Miss Platon 5 ans nous livrant son impression comment c'était avant qu'elle sortit dehors de sa caverne ;)
Bisou..
liaM !!! Tu es venu !!!
RépondreSupprimerMerci d'être passé, j'apprécie !
Personne n'a commenté sur fre non plus...
:-(
En tout cas, bisou, merci.
Et moi alors?
RépondreSupprimerEt je regrette pour la simplicité de mon commentaire, mais c'est ce qu'il suscite le plus en moi... Et ça n'a aucun rapport avec la qualité du texte (qui est excellente); simplement que je trouve ce texte lugubre, et je l'ai dit.
Bugs, merci d'avoir pris le temps de commenter, je regrette le ton ingrat de mon comm' à moi. Je parlais surtout des Impromptus. Je suis presque toujours déçue là-bas en ce qui concerne les commentaires.
RépondreSupprimer(voilà, c'est ma mauvaise passe, elle passera, désolée)