Pour
Mil et une :
Le vieux docteur secoua les rênes et son vieux cheval Maribel se mit - à contrecœur - en marche.
Doc Pearson regrettait un peu. Il savait que Maribel méritait de rester au chaud dans son étable après une longue journée de visites, mais c’était important. L’enfant de madame Renaud et madame Renaud elle-même étaient en danger.
C’était le benjamin, Jonas Renaud, qui arriva au crépuscule, haletant de son long parcours dans la neige et le froid, la peur gravée sur son petit visage blafard. Sa petite voix vibrait de crainte et de fatigue.
- C’est …maman…docteur, y…a…un problème ! croassa-t-il, avant de s’écrouler sur le seuil.
Pearson s’agenouilla auprès du gamin famélique. Cet hiver avait été spécialement dur pour les familles du comté. Il n’y avait ni homme ni animal qui mangeait à sa faim. Le docteur frottait les petites mains de Jonas, et enfin, l’enfant rouvrit les yeux.
- Ah, te revoilà, bonhomme ! lui murmura Pearson. Ça va mieux ?
- Maman ! cria doucement l’enfant. Pearson nota les cercles violets sous les yeux de l’enfant.
- Ne t’en fais pas, mon gars, le vieux doc Pearson ira voir ta maman. Mais il faudra d’abord que tu me rendes un service.
- Un service ? Jonas se redressa avec l’aide de Pearson qui l’installa sur une chaise devant la cheminée.
- Oui, un service. Je me demandais si tu pouvais rester ici pour t’occuper de ma vieille Sally pendant que je vais aller voir ta mère ?
Sally était la vieille chienne aveugle du médecin et la grande favorite de tous les enfants des environs. Le vieux médecin savait que s’il n’inventait pas un prétexte convenable, le petit rentrerait chez lui à pied, et il voulait que le pauvre se repose, surtout si sa maman avait besoin de ses soins pour accoucher. Bien que le petit Jonas courageux s’inquiétât pour sa mère, il accepta de rester chez le médecin, secrètement heureux de ne pas devoir ressortir dans le froid et le noir cruels.
- Allez, Jonas, dit le docteur. Tu vois bien qu’il y a de la soupe dans le petit chaudron noir, et il y a peut-être du pain dans le placard. Pourras-tu nourrir Sally et toi-même ce soir pendant que tu m’attends ? J’aimerais aussi que tu t’occupes du feu, il y a du bois derrière la maison, hein ?
- Oh oui, docteur ! dit Jonas, fier que le médecin lui fasse tellement confiance.
Et c’est ainsi que le médecin repartit sous la neige vers la ferme des Renaud. Maribel dépêcha ses pas sous les rênes impatients de son maître. Les roues de la calèche glissaient un peu dans les traces.
Quelques heures plus tard, Pearson se retrouva dans sa calèche en train de rentrer. La lune se couchait et ses yeux fatigués notèrent déjà un tout petit peu de rose sur l’horizon. Le vieil homme respira l’air craquelant de froid et se demanda comment il allait expliquer au petit Jonas ce qui s’était passé dans cette terrible nuit frigide et sans merci.