OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

14.6.13

la tardive, rose sauvage de l'Iowa

en principe, je rouspète 
contre les gens qui arrivent
 en retard

ou bien à la dernière minute, 
car je les trouve nec plus égoïstes
à nous faire patienter
comme si les attendre
était la seule chose
que nous avions à faire...
 
mais celle-ci,
cette jolie petite tardive,
je lui pardonne 
et je lui pardonnerai toujours
l'heure de son arrivée


12.6.13

DÉNOUEMENT

Pour Mil et Une :

Chez le père Thuille, Edouard Manet, 1879.



Emma sourit.
Depuis le temps que ce jeune gaillard lui contait fleurette…
Au début, elle croyait qu’il se moquait d’elle. Impossible qu’un beau gars de son âge s’intéresse à une vieille fille…mais Emma avait admis la vérité, que ce jeune homme était éperdument amoureux d’elle.
Et enfin,  il était bien là, devant elle, ses yeux grand-ouvert, son bras caressant sa chaise…
Elle savait que ce jeune Pierrot allait enfin lui poser la question, la question qu’elle attendait depuis l’âge de douze ou treize ans, ce moment rêvé où l’homme de sa vie lui demande de l’épouser…Emma avait presque oublié ce sentiment d’espoir.
Certes, elle n’avait pas pensé qu’il faudrait tant d’années, mais le moment était enfin venu…
Elle le sentait crisper devant elle. Le jeune homme ouvrit sa bouche…
-          M-m-mademoiselle…commença-t-il.  Il bégayait un peu. L’émotion, sans doute.
-          Oui ? murmura-t-elle, déjà indulgente.
-          M-m-mademoiselle, p-puis-je… ?
-          Pouvez-vous quoi, Pierrot ?  Emma ressentit comme un nœud d’excitation qui montait derrière son jabot de dentelles.
-          M-m-mademoiselle, p-puis-je vous appeler…
-          Oui, Pierrot ?
-          M-m-mademoiselle, p-puis-je vous appeler… « M-m-maman » ?



la coquille de Cookie

La coquille de Cookie calquait le calme
Comme un coucou calmant un cocu vacarme.
Mais quand Cookie cria « Ma coquille casse-cou ! »
Sa Katy le quitta comme un con roudoudou.

Moralité : C'est dingue, l'ère.

11.6.13

8.6.13

MA TANTE A MARRE, PIOU-PIOU, PIOU-PIOU PAR ANTON BREDOUILLE

Pour le Défi du samedi et basé sur un poème d'André Breton :


Dans le salon de madame des Ricochets

Des cochers damnent selon le daim.

Les miroirs sont en grains de rosée pressés

Et pressé, j’engraine les rois des mires.

La console est faite d’un bras dans du lierre

Et le hier dans mes bras, je consolais malheur.

Et le tapis meurt comme les vagues

Et les vagues rumeurs commentent ta pitié.

Dans le salon de madame des Ricochets

Cochés selon le daim sale, on danse.

Le thé de lune est servi dans des œufs d’engoulevent

Goulûment œuvrés et enlevés comme une lune d’été sévère.

Les rideaux amorcent la fonte des neiges         

N’ai-je ri, doré à mort, c’est de l’eau de la fonte, haine.

Et le piano en perspective perdue sombre d’un seul bloc dans la nacre

N’a que bloquer son sombréro perdu perspicace comme un pi (ah non !)

Dans le salon de madame des Ricochets

Qu’au Cheikh Richard, l’on sale les dons

Des lampes basses en dessous de feuilles de tremble

Trimballant bassement des sous, lampant la portefeuille

Lutinent la cheminée en écailles de pangolin

Où caille Pagnol, miné, luttant mi-chemin

Quand madame des Ricochets sonne

L’eau sonne, l’aure, l’eau sonne, donne, mais quand ?

Les portes se fendent pour livrer passage aux servantes en escarpolette

Escarpins portés comme des livres pas sages, et l’on se fendait les côtes,

Absurdement, l'absurde ment.

7.6.13

Distances

On dit que
le voyage le plus long 
commence par un seul pas...

     Un seul pas.

          Un seul pas pour faire
          le tour du monde,

               Un seul pas pour traverser
               la mer de l'indifférence,

                    Un seul pas vers un coeur
                    qui t'attendait

                         Seul.

6.6.13

sans importance aucune

sans importance 
aucune

aucune importance 
sans importance 

sans importance
aucune

sans
importance...

aucune
sans aucune

5.6.13

SACRÉ JACQUES PRÉVERT !

Pour Mil et Une (d'où vient aussi l'image)  :



Ah, ce sacré
Jacques Prévert !
Je suis l’une
De ses escargots
Qui s’en allaient
À l’enterrement
D’une feuille,
Mais en arrivant
C’était déjà le printemps :
Alors, j’ai bu,
J’ai titubé,
Et quand je m’étais réveillée
C’était encore le printemps
Mais j’avais perdu
Mon copain…
Ah, ce sacré
Jacques Prévert !
S’il n’était pas déjà mort
Je me mettrais en route
Pour son enterrement.

2.6.13

gardienne

je passe
avec ma clé
rouillée
j'ouvre la serrure
qui grince

j'attrape le vieux balai
et je balaie
devant ma propre
porte propre

quelques toiles
décousues
laissées par une arraignée 
voguant vers le plafond

j'appuie 
sur des boutons
et des moutons
de poussière douteuse

j'enlève les roses desséchées
de leur vase
 
je jette l'eau qui stagne
comme quelques mots tristounets
perdus dans un coin
sans lumière

je laisse quelques croquettes
pour un gentil chat ou deux
qui passera ou pas

je remets mon chapeau
de brumes
et mon chandail troué
comme un coeur en deuil

et je repars

19.5.13

à tâtillons

je ne me fie pas
à l'épaisseur de la glace
mais pour avancer
il faut risquer
que ça craque

27.4.13

l'incendie

Pour Mil et une :



l’incident
de l’incendie indécent
nous laissa indécis
car l’indécence
incendie
la descente vers
l’oubli




15.3.13

Peur des chiffres


Monsieur Émile -Hercule Roussel serra son stylo violet et marqua soigneusement en haut de la copie :  Étant donné votre peur des chiffres, mademoiselle Martin,  je vous déconseille vivement de faire carrière comme ingénieure, ou même caissière. 

Voilà, le baiser de mort aux ambitions ridicules d’encore une pétasse qui se retrouvait dans ses cours d’algèbre au collège Albert Camus à Bar-le-Baron.  Roussel eut toujours  envie de rire quand un enfant de treize ans lui déclara, le premier jour des cours qu’il voulait devenir ingénieur, ou physicien, ou encore un truc ridicule. Mais Roussel restait professionnel, et se contenta  toujours d’une grimace condescendante et un « Ah bon ? » nec plus froid, avant de passer à la prochaine déclaration indigne.

Il était tout simplement  le meilleur  prof de maths à Bar-le-Baron,  alors,  il faisait toujours de la démolition des ados boutonneux un point d’honneur qu’il devait au monde des mathématiques.

Roussel se frotta les yeux, et regarda par la fenêtre du train qui l’emmenait à Paris, et plus précisément aux studios de France 3. Convoqué par une lettre signée personnellement par son idole, Bertrand Renard,  Roussel sut tout de suite que ce serait impossible de refuser une telle invitation - de partager sa supériorité en calcul à tout le pays - les mots restaient blasonnés sur son cœur, avec la signature à encre violette. Tiens, ce Renard était un original, comme lui-même.

Arrivé à la Gare de l’Est, le petit homme touchait nerveusement son papillon nœud qu’il avait sorti exprès pour cette grande occasion. Pas de quoi être nerveux, sa supériorité en chiffres lui permettrait de sortir victorieux même s’il ne trouvait pas toujours le mot le plus long …

Roussel se dirigea vers la sortie pour trouver un taxi. Ruineux, oui, mais le temps du parcours, il pouvait répéter un peu ce qu’il allait dire sur scène pour se présenter son génie au monde.

-          Eh ! Bonjour !  Monsieur Roussel ! Bonjour !

Se retournant, Roussel vit un groupe de jeunes. Il crut reconnaître vaguement le grand et puis la voix de Sévérine Martin, l’auteur de la copie qu’il avait corrigée dans le train. C’était probablement une coïncidence, il ne connaissait personne à Paris. Ce n’était pas à lui que ce groupe d’ados s’adressait.

-          Hein, monsieur Roussel, vous ne nous reconnaissez pas ?

La petite Sévérine se mit entre lui et la queue qu’on formait pour les taxis.

-          C’est bien vous, non, monsieur Roussel ?  lui dit-elle, d’une voix très forte.
-          Eh oui, bonjour. Excusez-moi,  je suis pressé. Bonne journée !
-          Vous allez où ?
-          C’est une question très indiscrète.  J’ai rendez-vous. Bonne journée !
-          Où ça ? Vous ne voulez pas venir avec nous ?  On va au XVe, on va prendre le RER.
-          Non, merci mademoiselle,  je prends un taxi, je vous ai bien dit que je suis pressé.
-          Okay, d’ac, bonne journée, monsieur ! Elle lui jeta un grand sourire et rejoignit son groupe de copains qui riaient fort.

Ils étaient sans doute tous saouls ! Roussel se dit que les parents de ces jeunes crétins ne devraient pas leur permettre de sortir à Paris le week-end. Ils devraient rester à la maison et faire leurs devoirs. Enfin, c’était son tour et il monta dans le taxi, et donna l’adresse.

Le chauffeur de taxi le regarda dans son rétroviseur.

-          7, Esplanade Henri de France ?
-          Oui, c’est ce que j’ai bien dit. C’est pour un tournage, alors, faites vite.
-          Un tournage ?
-          Oui, un tournage. Pour l’émission Les Chiffres et les Lettres. Vous ne connaissez pas, j’imagine.
-          Oh, si, je connais. Tout le monde connaît. Mais êtes-vous sûr que c’est aujourd’hui ?
-          Mais oui, je suis sûr. L’invitation a précisé aujourd’hui, le 17 mars.
-          Oui, très bien, monsieur. Mais cela m’étonne quand même qu’on tourne un dimanche.

Roussel ne daigna pas répondre. C’était évident que pour les invités exceptionnels comme lui-même qu’on prenne une date qui convenait à ses heures de cours, et il continua à le penser jusqu’à leur arrivée aux studios où tout était déserté, à part un groupe d’adolescents qui attendaient devant la grille.