OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

15.3.13

Peur des chiffres


Monsieur Émile -Hercule Roussel serra son stylo violet et marqua soigneusement en haut de la copie :  Étant donné votre peur des chiffres, mademoiselle Martin,  je vous déconseille vivement de faire carrière comme ingénieure, ou même caissière. 

Voilà, le baiser de mort aux ambitions ridicules d’encore une pétasse qui se retrouvait dans ses cours d’algèbre au collège Albert Camus à Bar-le-Baron.  Roussel eut toujours  envie de rire quand un enfant de treize ans lui déclara, le premier jour des cours qu’il voulait devenir ingénieur, ou physicien, ou encore un truc ridicule. Mais Roussel restait professionnel, et se contenta  toujours d’une grimace condescendante et un « Ah bon ? » nec plus froid, avant de passer à la prochaine déclaration indigne.

Il était tout simplement  le meilleur  prof de maths à Bar-le-Baron,  alors,  il faisait toujours de la démolition des ados boutonneux un point d’honneur qu’il devait au monde des mathématiques.

Roussel se frotta les yeux, et regarda par la fenêtre du train qui l’emmenait à Paris, et plus précisément aux studios de France 3. Convoqué par une lettre signée personnellement par son idole, Bertrand Renard,  Roussel sut tout de suite que ce serait impossible de refuser une telle invitation - de partager sa supériorité en calcul à tout le pays - les mots restaient blasonnés sur son cœur, avec la signature à encre violette. Tiens, ce Renard était un original, comme lui-même.

Arrivé à la Gare de l’Est, le petit homme touchait nerveusement son papillon nœud qu’il avait sorti exprès pour cette grande occasion. Pas de quoi être nerveux, sa supériorité en chiffres lui permettrait de sortir victorieux même s’il ne trouvait pas toujours le mot le plus long …

Roussel se dirigea vers la sortie pour trouver un taxi. Ruineux, oui, mais le temps du parcours, il pouvait répéter un peu ce qu’il allait dire sur scène pour se présenter son génie au monde.

-          Eh ! Bonjour !  Monsieur Roussel ! Bonjour !

Se retournant, Roussel vit un groupe de jeunes. Il crut reconnaître vaguement le grand et puis la voix de Sévérine Martin, l’auteur de la copie qu’il avait corrigée dans le train. C’était probablement une coïncidence, il ne connaissait personne à Paris. Ce n’était pas à lui que ce groupe d’ados s’adressait.

-          Hein, monsieur Roussel, vous ne nous reconnaissez pas ?

La petite Sévérine se mit entre lui et la queue qu’on formait pour les taxis.

-          C’est bien vous, non, monsieur Roussel ?  lui dit-elle, d’une voix très forte.
-          Eh oui, bonjour. Excusez-moi,  je suis pressé. Bonne journée !
-          Vous allez où ?
-          C’est une question très indiscrète.  J’ai rendez-vous. Bonne journée !
-          Où ça ? Vous ne voulez pas venir avec nous ?  On va au XVe, on va prendre le RER.
-          Non, merci mademoiselle,  je prends un taxi, je vous ai bien dit que je suis pressé.
-          Okay, d’ac, bonne journée, monsieur ! Elle lui jeta un grand sourire et rejoignit son groupe de copains qui riaient fort.

Ils étaient sans doute tous saouls ! Roussel se dit que les parents de ces jeunes crétins ne devraient pas leur permettre de sortir à Paris le week-end. Ils devraient rester à la maison et faire leurs devoirs. Enfin, c’était son tour et il monta dans le taxi, et donna l’adresse.

Le chauffeur de taxi le regarda dans son rétroviseur.

-          7, Esplanade Henri de France ?
-          Oui, c’est ce que j’ai bien dit. C’est pour un tournage, alors, faites vite.
-          Un tournage ?
-          Oui, un tournage. Pour l’émission Les Chiffres et les Lettres. Vous ne connaissez pas, j’imagine.
-          Oh, si, je connais. Tout le monde connaît. Mais êtes-vous sûr que c’est aujourd’hui ?
-          Mais oui, je suis sûr. L’invitation a précisé aujourd’hui, le 17 mars.
-          Oui, très bien, monsieur. Mais cela m’étonne quand même qu’on tourne un dimanche.

Roussel ne daigna pas répondre. C’était évident que pour les invités exceptionnels comme lui-même qu’on prenne une date qui convenait à ses heures de cours, et il continua à le penser jusqu’à leur arrivée aux studios où tout était déserté, à part un groupe d’adolescents qui attendaient devant la grille.

7 commentaires:

  1. candide (autant que sévère) Monsieur Roussel

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  2. Cadet Roussel a trois élèves, (bis)
    L'un est moqueur, l'autre est fripon, (bis)
    La troisième n'a pas de cervelle,
    Mais n'en a que faire, la donzelle,
    Ah ! Ah ! Ah, mais vraiment,
    Cadet Roussel est bon enfant.

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  3. Tu n'as pas compris l'histoire, SklabeZ, Emile-Hercule Roussel est un sacré connard.

    ;-)

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  4. J'avais bien compris, mais je voulais placer mon couplet dans lequel je le fais parler. C'est lui qui raille ses élèves ;-)

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  5. Il ne saurait jamais écrire comme toi.

    ;-)

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  6. Rien à signaler ici aussi!
    Ciao!

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