Je n’aime pas aller aux bords du Ruzizi pour chercher l’eau de la famille. C’est là où vit Gustave, le gros crocodile, croqueur des hommes. Mais parfois, c’est connu, il croque aussi les petits gars comme moi pour son quatre-heures. C’était mon ami Jules qui me l’avait dit et Jules, qui était grand et beau, avait une vache à lui tout seul, héritage de son grand-père. Et Jules, lui, ne mentait jamais, c’était connu.
Alors, quand Jules tomba amoureux de ma sœur, Félicie, c’est moi qui leur servais d’intermédiaire. Chaque soir quand il fallait chercher l’eau, je tombais toujours sur Jules, en train d’abreuver sa vache. Il avait toujours un mot à me dire, un seul mot, que j’étais censé répéter à ma sœur dès mon retour. Non, je ne peux pas te les dire, ces mots, c'était un secret, ils étaient seulement pour l’oreille de ma sœur, Jules avait été formel.
Ma sœur, par contre, n’avait jamais de mot pour Jules, mais j’aimais la façon dont ses yeux luisaient à chaque fois qu’elle entendit un de ses messages. Ses yeux devenaient comme deux étoiles dans le ciel la nuit où il n’y a pas de lune. Pendant le reste de la soirée, Félicie fredonnait comme font les abeilles dans les fleurs blanches qui sentent le citron et qui poussent aux bords du sentier qui amène au Ruzizi.
Mais un soir quand j’arrivai au fleuve, Jules n’était pas là. Je regardais bien parce que je savais que Félicie attendait son mot. Sur la grève, j’ai retrouvé des roseaux aplatis comme sous un grand poids, des taches noires par terre. Soudain, j’ai entendu un bruit. Me retournant, je vis la vache de Jules, abandonnée. Elle me regardait de ses grands yeux marron et je compris qu’elle était maintenant à moi. Après tout, Jules m’avait souvent dit qu’on ne peut donner ce qui ne nous appartient plus. Jusqu’à ce moment, j’avais pensé vaguement qu’il parlait de ma sœur.
Je pris rapidement mon eau et puis, je rattrapai la corde nouée autour des cornes de ma vache. Je me dépêchais pour rentrer. Papa et maman ne poseraient pas de questions pour la vache, mais je ne savais pas trop ce que j’allais raconter à ma sœur.
Toutefois, j’imaginais bien qu’il n’y aurait pas d’étoiles cette nuit.
Nul doute que le petit gars saura trouver les justes mots pour apaiser la douleur de Félicie.
RépondreSupprimerUn seul commentaire pour un de mes meilleurs textes, jamais je n'en reviendrai. ;-)
RépondreSupprimerRecevoir un commentaire fait toujours plaisir, ne pas en recevoir est décevant, voire frustrant et je suis bien placé pour le savoir.
RépondreSupprimerMais la qualité d'un texte ne se mesure pas à l'aune du nombre de commentaires qu'il reçoit.
Ton texte est magnifique ! Ce ne sont pas les commentaires qui vont l'améliorer ou l'altérer.
Je reconnais néanmoins qu'il méritait mieux que mon seul commentaire et je partage ta déception.