Il s'appelait Bill.
Il était moche. Il tenait un peu de Hitler sans les petites moustaches, parce qu'il n'avait que treize ans comme nous tous. Des cheveux noirs et trop gras. On voyait bien que Bill n'aimait pas le shampooing.
Ses vêtements lui allaient mal, comme s'ils avaient appartenu à quelqu'un d'autre. Le bas du pantalon un peu trop haut, les manches de la chemise un peu trop longues. Sa ceinture avait trop de trous au bout qui pendait, ridicule de sa taille. Le t-shirt un peu grisâtre autour du cou.
Il ne sentait pas mauvais, mais il y avait du noir sous ses ongles.
Non, sa famille n'était pas riche, mais il n'y avait pas de familles riches dans cette région rurale. Nous vivions tous plus ou moins du hasard. Mais la vie à cette époque était plus simple, les temps durs pas encore oubliés dans les familles qui ont connu la guerre, le manque, le sacrifice, et, enfin, certaines récompenses.
Cela dit, personne dans la classe ne voulait pas vraiment s'associer avec Bill.
C'était un gars qui avait des bords un peu pointus, il était dur à l'intérieur. Sans qu'on se le dise, nous étions sûrs que Bill savait taper. Personne n'avait envie de tester cette théorie.
Il savait très certainement répondre, même si l'école était encore, à cette époque-là, un lieu ou les grands savaient plus que les petits, et que l'on se taisait parce que c'était pour son propre bien.
Bill, ce malheureux, avait oublié un jour que madame R n'aimait pas qu'on mâchait du chewing à l'école.
Elle avait déjà expliqué à la classe qu'on ne disait "Hi" qu'aux vaches.
Personne n'osait dire "Hi" à madame R. Personne.
Les autre infractions plus sérieuses nous étaient aussi étrangères.
Et ce jour-là, un beau jour de printemps, Bill avait le malheur de mâcher du chewing aux cours.
Soit il avait oublié, soit il s'en fichait, soit c'était son seul petit déjeuner.
L'oeil rancunier de madame R a tout de suite repéré la contrabande dans la bouche de l'infortuné.
Calmement, elle a placé la poubelle devant le tableau noir.
Calmement, elle a demandé que Bill se place devant la poubelle.
Il allait devoir crâcher son chewing dans la poubelle.
Le spectacle serait son humiliation, cela suffirait.
Elle lui a dit de se pencher sur la poubelle.
Nous ses camarades de classe voyions ce que Bill ne voyait pas, penché devant la poubelle.
C'était madame R qui avait pris le mètre, qui s'approchait, calmement, et qui a frappé Bill aux fesses avec tellement de force que le bâton épais et rigide s'est fendu en éclats de la force de son coup.
Silence. Horreur. Silence.
La victoire était à Bill.
Il n'a pas crié.
Il n'avait pas le souffle coupé.
C'était lui qui a repris calmement sa place pendant que la prof, toute rouge, louchait, furieuse, et nous autres la regardaient, bouche bée.
***
Je ne sais pas ce qu'il est devenu, ce Bill.
Je ne sais pas s'il portait longtemps les traces de cette attaque vicieuse.
Mais nous, ses camarades de classe, si.
On a longtemps porté les nôtres.
Longtemps.