Pour
Un mot. Une image. Une citation :
Manu me tirait fort par le bras. Je courais aussi vite que possible, mais lui était bien plus rapide. Je tombai, criant. Manu s’arrêta, me remit sur mes pieds, et puis recommença à courir.
Le monde passait, floué par notre vitesse, j’essayais de ne pas trébucher encore et connaître le baiser brûlant du trottoir sur mes genoux.
Enfin, nous arrivâmes devant une vitrine, et Manu me prit encore le bras.
- Regarde, Janine ! il chuchota.
Je ne vis rien de particulier, à part des dizaines et des dizaines d’horloges.
- Quoi, Manu, c’est juste de stupides…
- Non ! Regarde !
Ce dernier mot était comme un sanglot coincé dans sa gorge. L’émotion que je ne reconnus pas tout de suite me troubla.
- Regarde ! C’est la montre à Papa ! Elle l’a vendue ! Papa me l’a promise quand il est parti, et cette vache l’a vendue !
Je fixai mes yeux sur l’objet. Manu resta silencieux, comme lors d’une punition. Il ne pleurait jamais. Sous le coup de férule, le silence de Manu triompha toujours.
Je ne reconnus pas la montre. Pour moi, Papa était cette figure en noir et blanc sur une vieille photo, souriant à côté d’une jolie femme. Maman eut beau me dire que c’était elle aussi sur la photo, mais je ne la crus pas. Maman avait des rides, les yeux cernés, des cheveux avec beaucoup de gris. La fille sur la photo n’était pas elle, mais je ne dis rien. J’avais l’impression que cela aussi la fâcherait si je le disais.
- Puisque tu le dis, Manu. Et alors ?
- Alors, rien, petite conne ! hurla Manu et repartit en courant, m’abandonnant devant la vitrine.
Je ne savais pas ce que c’était qu’une conne. J’imaginais que c’était méchant et que si je le répétais à maman, elle se fâcherait.
Frissonnant, je m’assis sur le bord du trottoir, en attendant que mon frère revienne.