OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

6.9.10

Navire négrier

C'est le bateau que tu n'es pas triste à voir repartir. Tu as hâte que l'horizon l'avale, ce navire qui était ton prison, où tu mourrais en manque de civilité et le gros sadique passait battre tous ceux qui ramaient, riant lorsqu'il voyait le sang suinter sur les dos nus.

Et maintenant, tu es libre. Courbé, ampoulé, cicatrisé, mais libre, libre comme l'albatros, libre à crever de faim sous tes propres termes, libre à hurler ou rire dans le vent qui transporte tes cris silencieux, libre à te briser le coeur comme tu veux.

C'est le bateau que tu n'es pas triste à voir repartir, chargé du sel des larmes, des sueurs, du sang, de la mer inexorable, impardonnable, sans merci.

Tu n'es plus qu'un squelette tapissé d'un bout de cuir rayé. Tes os, à peine cachés, érafleront les autres peaux qui ne se doutent de rien. Tes yeux - arrachés depuis longtemps, jetés sur le sable, desséchés par le soleil, le vent, le souvenir du fouet - et ton coeur scanderont longtemps les vagues.

C'est le bateau que tu n'es pas triste à voir repartir.

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