Il y a quelque chose de terrible en moi. Demain je verrai le chirurgien. Il prendra son plus beau bistouri – c’est beau ce mot, bistouri – et il fera que ce quelque chose de terrible en moi disparaisse à tout jamais.
J’arriverai tôt, à jeun et avant le soleil. Je me déshabillerai dans la petite pièce, je mettrai la robe de coton fatigué aux petits carreaux bleus et tristes. En dépit de la lumière cruelle, la sorte qui ne pardonne jamais rien aux femmes, même les plus belles, je me regarderai dans le miroir, essayant de voir cet ennemi invisible, ce quelque chose de terrible en moi. Déçue, je sortirai.
L’infirmière mettra l’aiguille dans mon bras, ayant noté que j’avais demandé qu’on ne la mette pas dans ma main, c’est trop douloureux. Elle commencera la perfusion, et puis s’en ira s’occuper d’autres affaires. Moi, j’attendrai dans la goutte-goutte-goutte d’une telle attente.
Le chirurgien viendra me dire bonjour, me fera son plus beau sourire qui dira « T’inquiète pas. Tu as quelque chose de terrible en toi, et moi, je vais t’en débarrasser pour de bon. » Je sourirai à mon tour, nerveusement. Il s’en ira et je regarderai le bleu de son dos disparaître derrière les portes battantes comme celles d’un bar dans un vieux western.
Arrivera une autre infirmière, celle qui assistera le chirurgien, celle qui lui donnera les instruments. Elle m’amènera à la salle lumineuse et elle m’aidera à me coucher sur la table, tout en tenant la goutte-goutte-goutte dans sa main. Il fera froid, et elle m’enveloppera dans une couverture chauffée. La laine sera douce et lourde contre les courbes de mon pauvre corps qui se soumettra à la lueur inhumaine des instruments qui tranchent.
On m’endormira, mais avant que le monde ne se dissolve devant mes yeux, avant que le noir ne me recouvre de son beau manteau opaque, je verrai les murs luisants et blancs, le métal poli, les silhouettes masquées, et ce beau bistouri qui fera sortir ce quelque chose de terrible que j’ai en moi.