OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

2.3.19

Fait-divers (pour le Défi du samedi)

 L’horrible scène, cher lecteur, chère lectrice, a lieu dans le métro crade et répugnante d’une ville connue non pas pour sa saleté ni pour sa répugnance, mais plutôt pour sa lumière ravissante. On supprimera sa vraie identité pour protéger les gentils aveuglés qui y vivent et qui visitent. 

Chaque jour un monsieur – on peut l’appeler peut-être un monsieur, bien qu’il n’y ait aucune trace de noblesse ni dans son allure ni dans ses actes – y porte dans ses bras sa belle-mère, une vieille dame habillée de haillons douteux et la pose, sans un mot, contre un mur dans un des couloirs caverneux avant de disparaître vers le carré de clarté en haut de l’escalateur. 

Munie seulement d’une paume vide et maculée pour faire son boulot, cette momie vivante y passe silencieusement de longues journées pendant que tous les pieds du monde trottinent devant sa tête baissée. Ses oreilles retentissent des échos creux des voix parlant toutes les langues indistinctes de l’univers.  Elle ne boit ni ne mange ni ne parle.  

Pleurez-vous déjà ? Non ?  Bon, je continue.

Si je vous disais qu’une bonne journée pour elle est de recevoir une pièce qu’elle fourre sur-le-champ dans ses loques puantes avant que quelqu’un ne vienne la lui voler ?

Qu’une telle pièce se fait de plus en plus rare ces jours-ci, et que la chance veut trop souvent que ce qu’on lui jette est un mégot encore tout chaud qui la brûle ?

Non ? Pas de larmes ?

Qu’on lui hurle souvent des injures salaces ?  Non ? Qu’on aime de plus en plus souvent la frapper avec un parapluie, ou qu’une bande de loubards qui passent régulièrement la prend parfois pour un ballon de foot destiné aux coups de pied experts ?

Non ? Rien ? 

Si je vous disais qu’avant la Révolution, elle était danseuse, qu’elle perdit une jambe lors une des centaines et centaines des bombardements qui ont lieu tous les jours dans les pays comme le sien ?  

Non ? Rien ?

Saviez-vous que dans la langue de chez elle, quand elle était jeune et belle, on l’appelait « Fleur » ?

Non ?  Bon.

Si je vous disais que dans le squat où son beau-fils la ramène le soir, elle mange dernière, bien après l’homme et ses enfants et sa fille et la tante et même le chien ?  Non ?

Alors, que faudrait-il pour que les larmes viennent à vos yeux ?  

Dois-je la tuer ?  

Non ? 

La torturer avant ? 

Non ? 

La faire violer ?

Ou, faut-il que je vous dise que cette ancienne Fleur n’était pas, après tout, une vieille dame ?

Que c’était un petit chaton égaré, un tout petit tigré qui miaule de faim ?

Ah, voilà.

Enfin. 

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