OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

6.3.10

Trompe-l'oeil

Pour le Défi du samedi :

Finalement, cela n’avait pas été très difficile.

Odette se félicitait pendant qu’elle remuait les tisons dans la cheminée. Il n’y restait que quelques morceaux du capuchon qui refusaient, étrangement, de brûler. Pas bien grave, elle pourrait les enterrer au bout des bois demain matin avant l’aube. Mais en ce moment, elle ne voulait que boire un bol de soupe pour fêter la réussite de son jeu.

Elle sourit en se rappelant le regard surpris de cette stupide Estelle avant que la meute ne l’emmène. Et cette lueur dans ses yeux, le hochement de sa tête infortunée, cette bouche qui formait la syllabe Toi ! avant de disparaître sous la cagoule imposée. Jouissif !

Odette se refusa la joie ultime d’écouter ses pleurs sous le vieil arbre qui servait de justice au village quand il en fallait. Non, elle savait qu’elle n’aurait pas pu cacher sa joie à témoigner la mort de sa rivale détestée, de voir son corps fluet pendouillant dans le crépuscule. Oui, elle se priva de la vue de cette immonde tête penchée vers les rondeurs hautes de sa jeune poitrine. On n’est pas trop si fière une fois le cou tordu, hein, ma belle Estelle ?

Jamais plus les yeux des villageois ne suivraient ses pas dansants, jamais plus l’un ou l’autre ne parlerait éperdument des charmes de cette fille. Non. Pas très convenable de tomber amoureuse d’une tueuse d’enfants, ah non.

Et finalement, cela n’avait pas été très difficile…

D’abord s’insinuer auprès de l’idiote. Facile ! Cette nigaude aimait tout le monde ! Après, voler le capuchon connu par tous ; ensuite, élire la petite victime - une des favorites de cette garce blonde - et imiter sa voix, sa manière, son pas dansant ; amener la petite à un lieu où l’on retrouverait assez tôt son petit cadavre brisé et ensanglanté ; y laisser quelques cheveux blonds et un ou deux petits objets qui identifieraient immanquablement l’assassine ; semer des graines de doute parmi les bonnes gens du hameau ; et, finalement, attendre.

Attendre que la meute ne vienne chercher ce monstre qui se cachait derrière ces yeux bleus, ce visage d’ange qui endiablait chaque gars qui le voyait…

Oui, l’attente, pas très longue du tout, quelques petites heures. Odette avait compté sur la jalousie des autres femmes, de la perfidie des prétendants échoués, mais même elle ne pouvait pas croire la force de ces émotions dangereuses qui bouillonnent toujours juste au-dessous des apparences.

La soupe bue, sa soif de vengeance désaltérée, la vieille commença à réviser plus calmement ses démarches, s’assurer qu’elle n’avait rien oublié.

Non, rien.

Il n’y avait que les restes du capuchon volé. Odette se levait lourdement pour s’occuper de ce dernier détail lorsqu’elle vit un reflet au vieux miroir cassé à côté qui se trouvait à côté de la petite fenêtre par laquelle elle vit une étrange lumière. Au même moment, Odette entendit les hurlements indignés de la deuxième meute.

5 commentaires:

  1. oh que c'était bon ! savouré

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  2. Tu m'étonnes, brige, comment fais-tu pour toujours arriver ? En tout cas, MERCI ! J'apprécie énormément ton soutien !!! ♥ ♥ ♥

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  3. Moi aussi, j'aime beaucoup. Tout y est : la jalousie, la satisfaction, le sentiment d'impunité.
    Bravo, Joye.

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  4. C'est l'idée que j'ai eue en lisant les quatre mots de Zig : trompe l'oeil, double, miroir, et finalement, j'oublie le quatrième...

    ;-)

    Merci pour ton com', Berthoise, c'est sympa !

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  5. Certainement une superbe émeute à la fin !

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