Aujourd’hui, je vais
tâcher de faire un portrait de l’oubli…
Samuel porte son oubli comme une armure, une protection
contre les ravages du temps sur son vieux cœur. Cela fait déjà assez longtemps
qu’il ne pense plus à sa douce Anna. L’amour l’avait gravée sur son cœur, mais
le temps impitoyable l’abîma, et le portrait gravé sur la petite âme de Samuel
devient de plus en plus poussiéreux et vague.
Diable…c’est difficile
de bien capter l’oubli... peu importe… j’y fonce…
L’homme ne se souvient plus vraiment de la peau de sa femme,
peut-être dorée, ni de ses cheveux, sans doute soyeux. Cela fait des décennies
qu’il ne nage plus dans cette rivière surprenante, chaude et profonde, qui
coulait en elle. Parfois, le matin en se réveillant, il en entend encore un petit
égouttement, comme pour le robinet dans la cuisine qui ne se ferme plus complétement.
D’accord…ça avance…
Quand la seule robe qu’il avait gardée d’elle et fourrée
sous son traversin perdit son parfum, il ne restait que le coton fade et usé,
et alors absolument inutile. Peu à peu, Samuel apprit à ne plus penser à leur
joie - c’était ça le plus difficile - mais
sa tête et le temps se rejoignirent pour vaincre les petits restes qui
revenaient parfois à la surface, troublant son conscient comme des poissons
rouges troublent l’eau quand ils cherchent les miettes de leur petit repas
quotidien.
Non, impossible de
tout éradiquer, quand même…bon…encore un petit effort…
Un jour, et sans doute bientôt, Samuel n’existera plus, tout
comme son Anna, et ils seront enfin réunis quelque part, partageant cet oubli
inévitable qu’on appelle l’univers.
Voilà…Tournons alors
la page sur eux.