OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

26.6.11

Marthe avait envie de revoir les montagnes

Pour En vos mots :

Tableau par Rob Gonsalves

Marthe avait envie de revoir les montagnes,
mais sa santé sillonnée et le budget sinistré
par sa maladie n’allaient pas leur permettre
un tel voyage.

Alors Georges retrouva
les vieux ciseaux
sachant faire le bonheur
à sa femme.

Ces montagnes-là
n’allaient pas durer
longtemps.
Marthe
non
plus.

Mais son amour
pour elle, si,
se dit Georges,
en taillant les rideaux.

Si, oh si.
Longtemps.

Pour toujours.

23.6.11

Dans mon tiroir

Dans mon tiroir
Il y a ton miroir.

Mon Roi rit.

Les questions intimes 
Ne sont pas pour Lui.

22.6.11

COUP DE BLUES

Pour En vos mots :

Tableau par Carlos Trevisan

Son ciel est bleu,
Son eau est bleue,
Son sable est bleu,
Sa peau est bleue.

Son maillot est bleu,
Sa dame est bleue.
Son tout est bleu,
Son âme est bleue.

Partout, c’est bleu,
Bleu-bleu, bleu-bleu.

16.6.11

Héritage

Pour Mille et une :

Sculpture par Fanny Ferré

 Élise s’approcha de la vieille assise devant la fenêtre. Sa tête était baissée comme celle d’un esclave devant son maître.
- Mamy ? chuchota-t-elle.
La tête blanche et lumineuse au soleil ne bougeait pas.
Élise s’assit, fatiguée. C’était une mauvaise passe comme une autre, cela passerait, mais elle voulait entendre encore l’histoire de son arrière-grand-mère, celle qui naquit esclave, et encore bébé, fit le voyage vers la liberté à pied comme tant d’autres avaient fait avant elle, guidée par le courage et la détermination de sa mère à elle.
Élise connaissait l’histoire par cœur, mais personne ne la racontait comme faisait Mamy, qui transformait toujours la narration en danse épique. Ses yeux brillaient et sa voix  -comme un grand fleuve qui traverse la terre irrésistiblement, sans peur. Ses mains, ses épaules, son dos, son visage ridé – tout son être obéissait aux rigueurs du récit.
À chaque fois qu’elle l’entendait, c’était comme si elle, Élise, devenait cette même petite fille. Elle s’oubliait en sentant la peur, la faim, l’espoir de cette petite fille lointaine. Les mêmes épines blessaient ses petits pieds, le même froid la mordait à travers ses haillons…
Il fallait absolument qu’elle entende encore une fois - une dernière fois, promis, Mamy - cette histoire, celle de son arrière-grand-mère, un héritage communiqué en tableau vivant par sa grand-mère…
- Mamy ?  
Élise essaya encore de réveiller la vieille devant elle.

13.6.11

Passage

Tout à l'heure, une caille a frappé ma fenêtre comme une balle. Elle s'est tuée parce qu'elle croyait pouvoir traverser la maison vers la lumière qu'on pouvait voir à l'autre côté. Elle s'est trompée, comme bien des autres se trompent, se sont trompées et se tromperont encore.

12.6.11

Tired Museum Feet

Pour En vos mots :

Tired Museum Feet par Stevan Dohanos
Betty s'assit avec un soupir. Depuis onze heures, elle regardait des tableaux, sans trop comprendre ni beaucoup apprécier ces merveilles poussiéreuses suspendus devant ses yeux. Elle allait aux musées parce que c'est ce qu'on faisait afin de pouvoir hocher la tête avec sagesse au-dessus de son martini lors d'encore un interminable cocktail party, piégée entre un collègue de son mari Sam, ou pire, son patron Bob, qui louchait après un vodka gimlet et qui devenait absolument insupportable après deux. Mais Betty, elle n'était rien sinon une sport, comme disait son Sam, et si c'était ce qui fallait pour qu'il avance dans sa boîte, soit !

Le banc était dur et Betty commençait à avoir mal aux fesses. Elle regarda discrètement sa montre. Quatre heures ! Enfin ! Elle pouvait, en toute justice, aller prendre du thé et un petit sandwich bien mérité chez Macy's  Tea Room, et après, chercher un peu une nouvelle négligée qui risquerait de plaire à son homme, celui qui travaillait tant, le pauvre chou, pour réaliser leur rêve américain.

11.6.11

Pensée du jour : Pour se mettre au parfum

Mieux vaut péter un plomb que plomber un pet.

9.6.11

Le Facteur

Pour En Vos Mots :

The Postman by Thomas Liddall Armitage

Lydie était une correspondante avide. Elle écrivait à ses parents, ses amis, ses connaissances. Aucun jour ne passa sans que Lydie prenne son encre, sa plume et son papier pour gratter un petit bonjour, un grand salut, ou des mots tendres, drôles, et gentils.
Par conséquent, elle recevait toujours un tas de réponses, aussi drôles, tendres ou gentils, selon l'occasion. Elle adorait recevoir son courier chaque jour vers onze heures pour la première relève et encore dix-sept heures pour la deuxième.
Monsieur Thomas, le facteur, de devait jamais sonner à la porte. Son pas quittant le trottoir était presque toujours accueilli par l'ouverture de la porte, et le visage souriant de Lydie qui regardait ses mains pleines d'enveloppes.
Sa soeur, Pénélope, par contre, était aussi timide sur papier qu'en personne. Elle ne parla que rarement, ses yeux parlaient pour elle, sauf quand un mot était absolument nécessaire. Ce n'était jamais elle qui osait ouvrir la porte, jamais elle qui s'y présentait toute seule, et jamais elle qui adressait un mot à monsieur Thomas, l'homme qu'elle adorait impossiblement, de tout son grand petit coeur, si grand et si beau qu'elle n'osa même pas le regarder.

3.6.11

Mon ombre

Mon ombre me poursuit. J'ai beau lui couper le soleil, c'est elle qu'on croit briller. Elle a piqué beaucoup de mes amis qui sont maintenant ses amis au lieu de nos amis. On la trouve belle et troublante, mon ombre. Tendre et mystérieuse. Engageante. Et moi ? Bof, je reste là, au soleil. Un peu difficile à regarder. On n'aime pas trop la chaleur. On préfère la froideur, c'est plus comme il faut. La lumière n'intéresse personne. Oh, mais s'ils savaient ! Sans moi, cette conne d'ombre n'existerait même pas.

2.6.11

Ascension

Super prévenant, ce Jésus,
Qui est monté au ciel un jeudi
Histoire d'accorder un long week-end
À tous ceux qui croyaient en Lui...

1.6.11

Le Temps de lire, nature morte

Pour Mille et Une :

Le Temps de lire, nature morte par Éric Belin


Ces jours-ci, la vie s'envole vite. Oh, on est encore branchés
Sur la langue : dans l'oreille, devant les yeux, dans la bouche,
Oui, trop dans la bouche, et peu, si peu sur la page.
C'est un des tristes inconvénients d'un âge,
Ou l'on a tous devant soi, au bout d'une touche,
Le temps d'un éclair, pour se payer une tranchée
Du monde qui est, qui était, qui sera, qui va être.

Quand nous aurons enfin retrouvé le temps de lire
Tout comme la nature négligée, nos yeux seront morts,
Nos coeurs et nos cerveux aussi et les mots s'envoleront 
Enfin en liberté, comme les fantômes des papillons
Qui tenteront d'autres chasseurs, avalant leur remords
De ne jamais avoir pris le temps de saisir
Le sens de cette nature, morte avant de pouvoir naître.