OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

28.9.11

MAIS AU DEHORS IL FAIT ENCORE UN TEMPS SPLENDIDE


J'aime bien quand les étoiles tombent du ciel. Elles finissent avec brio, on ne les oublie pas. Lorsqu'elles tombent du plafond, c'est autre chose. L'ennui, c'est qu'on risque de se faire brûler. Or, un jour, un génie quelconque a trouvé comment les fixer dans leur descente, attachées par des fils. Certes, cela les prive de leur passage inoubliable, et, tôt ou tard, on oublie même de les regarder et d'enlever la poussière et les toiles d'arraignées qui les encombrent, jusqu'au jour où l'on porte plainte et le gérant, furieux, téléphone chez le concierge qui envoie une bonne quelconque qui apporte son gros plumeau et qui fait guilli-guilli aux étoiles. C'est tout un métier et tout un art, vivre parmi des étoiles fixées dans leur descente du plafond.

25.9.11

LES DÉSHÉRITÉS

Pour En vos mots :

Tableau par John Singer Sargent


      Donnez-moi vos pauvres, vos exténués
      Qui en rangs serrés aspirent à vivre libres,
      Le rebut de vos rivages surpeuplés
      Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte,
      De ma lumière, j’éclaire la porte d’or !
(Emma Lazarus, The New Colussus)

Moïse prit le livre précieux fourré dans son manteau. Esther, extenuée par encore une journée infructueuse, s’allongea sur le canapé dans la salle d’attente. Moïse avait voulu qu’elle mette sa tête sur ses genoux, mais Esther, déjà choquée de devoir dormir dans un lieu public, refusa. Moïse avait fini par lui promettre de ne pas s’endormir, afin qu’elle dorme, elle, en paix.  Et si le gardien passait pour demander leurs billets inexistants ? avait-elle murmuré pendant qu’ils s’installaient.

- Ne t’en fais pas, ma belle, prononça Moïse, absolu. Personne ne nous chassera. Ici, nous sommes en Amérique.

Mais elle, déjà épuisée, ne l’entendit plus.

18.9.11

Pixie des sixties

Pour En vos mots :

Tableau par Alina CHAU

Judy a pris sa retraite.
Plus de guitare, plus de manifs.
Elle en avait marre jusqu’au bout de ses beaux tifs.

Ce n’est pas qu’elle regrette
Ses jeans qui traînaient dans la poussière
Ou ses colliers peace-and-love jetés dans la gouttière.

Non.

Baba n’est plus cool, la vie est repartie sans elle.
D’autres guitares, d’autres manifs, d’autres tifs
Font parler d’eux partout à la une en éclats jouissifs.

Maintenant qu’elle a tourné la page, la vie est vraiment belle,
Elle a tout son temps, et les livres lui content fleurette
Car Judy a pris sa retraite.

Échos de l'antan, en noir et blanc

Pour Mille et une :



C'est elle !
C'est elle, c'est elle, c'est elle, c'est elle, c'est elle, c'est elle... !

Qui ça ?
Qui ça, qui ça, qui ça, qui ça, qui ça, qui ça... ?

Mais elle !
Mais elle, mais elle, mais elle, mais elle, mais elle... !

Ah !
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah... !

Allez !
Allez ! Allez ! Allez ! Allez ! Allez ! Allez !

À vos places !

14.9.11

Avis

Sans l'eau de l'esprit, on mourra toujours assoiffé dans le désert intellectuel.

12.9.11

fatigue

Un peu fatiguée, je me promenais au parc et je croisai un mendiant qui dit :

- Je suis pauvre ! Montre-moi tes seins !

Je ne dis rien et continuai.

- Garce ! Garce ! cria-t-il.

Je m'éloignai.

Près de la fontaine, un deuxième m'attendait.

- Je suis pauvre ! Montre-moi ton cul !

Hochant la tête, je repartis.

-  Salope ! Salope ! cria-t-il.

Quelques minutes plus tard, dans l'ombre d'un arbre, un troisième qui me regarda et qui me dit :

- Montrez-moi votre coeur, madame, s'il vous plaît.

Je le regardai, surprise.

Il sourit.

- Oui, montrez-moi votre coeur et votre esprit, parce que c'est là où se trouvent votre trésor et votre beauté.

- Et vous, vous n'êtes pas pauvre ?

- Pas comme les autres, en tout cas.

Et on se sourit tout grand.

11.9.11

L'ÉPOQUE OÙ J'ÉTAIS BELLE

Pour En vos mots :

Tableau par Gustave Taillebotte

Tu faisais semblant de ne pas me voir quand je passais,
Et je faisais semblant de ne pas voir que tu me voyais.

La robe à rayures était la seule que je possédais,
De loin, tu ne pouvais pas voir son pan effiloché.

Plus tard, tu me dirais que c’était l’éclat de mon teint,
Ma fraîcheur qui t’appelait comme une sirène au matin.

Plus tard, je te dirais que c’était mon regard solennel
Qui a fait que tu m’aimes à l’époque où j’étais belle.

Les époques s’effilochent comme les pans, comme les teints,
Et l’amour aussi, et la vie, et les rêves, tous éteints.

Les teints, les sirènes, la fraîcheur, les regards
Ne durent qu’un moment, et puis, on est vieillards,

Mais un peintre l’a immortalisée, irréelle,
Cette rencontre de l’époque, où, oui, j’étais belle.

10.9.11

ASTRAL

Pour le Défi du samedi :

À six ans, j’appris à faire le café, couper les tartines et les beurrer pour le petit déjeuner. Papa buvait toujours son bol sans mot et après, en s’essuyant ses moustaches avec le dos de sa grande main dure et calleuse, me sourit enfin et me dit que c’était bon. Il disait toujours ça, même quand le café était un peu brûlé ou quand je devais mettre de l’eau dans le lait parce que nous n’avions pas assez de lait, ou quand il n’y avait vraiment pas de beurre sur le pain.
Ensuite, Papa prenait sa veste et sa boîte d’outils et repartait pour la planète Jupiter.
Bon, c’est ce qu’il disait. Et quand j’avais six ans, je le croyais.
Plus tard, je serais moins sûre.
La porte refermée derrière lui, je commençai mes tâches. Je lavais les bols dans l’évier, j’essuyais la table et je ramassais les miettes pour les mettre sur le seuil dans la chambre de maman. Le matin, elle aimait bien regarder les oiseaux qui venaient déjeuner avec elle. La nuit, elle se mettait devant la fenêtre pour regarder les étoiles, tenant une vieille lunette d’approche devant un œil ou l’autre.
J’attendais qu’elle gémisse pour entrer dans sa chambre avec un verre d’eau. C’était notre rite. Maman ne buvait pas de café. Dans le verre d’eau, elle mettait six gouttes du liquide dans la petite bouteille noire. Pas plus. Pas moins. Je regardais toujours attentivement parce que je savais qu’un jour, comme pour le petit déjeuner de Papa, ce serait à moi de les préparer et je voulais être prête.
Mais ce matin-là, la chambre – et maman – restait silencieuse. J’avais appris que son sommeil était rare et précieux et qu’il ne fallait pas le troubler, mais après deux heures d’attente, je commençais à m’inquiéter. Les oiseaux qui m’attendaient sur le seuil avaient sûrement faim, non ?
Alors, j’ouvris la porte et jetai un coup d’œil vers le lit.
Maman n’y était pas.
J’ouvris plus large. Le lit était vide. Il n’y avait personne sous le duvet.
Enfin, j’ouvris complètement la porte et je vis ma mère devant la fenêtre. La lumière rendait transparente sa chemise de nuit, l’ombre de son corps semblait bouger en avant et en arrière, comme un arbre lorsque le vent soufflait fort. Elle avait jeté ou laissé tomber la vieille lunette d’approche.
- Maman ?  dis-je, un peu effrayée.  Elle se retourna lentement.
- Ah, bonjour !  Dis, tu arrives juste à temps !  Je repars vers les étoiles. C’est pour très bientôt, je viens de voir passer la carène du navire qui m’emmènera. Oh, je vais enfin les retrouver tous - mon oiseau indien bien aimé, et mon petit cheval…
Elle se retourna vers la lumière.
Et puis, comme ça, elle était partie par la fenêtre pour les rejoindre.
Je ramassai sa lunette d’approche. Son gros verre était cassé.
J’attendai.
Au crépuscule, Papa serait de retour de Jupiter et il saurait quoi faire.

9.9.11

Cistre

instrument à cordes pincées
ouille

 XVe siècle 
ah oui, je m'en souviens bien, le bon vieux temps

encore répandu en Europe 
hep, z'aimez pas les banjos, vous ?

héritier de la citole 
citole, si terne, un beau legs

le cistre connut deux périodes
avant et après son invention, oeuf corse,

d'intense prédilection
et à l'époque, il n'y avait même pas d'aspirine
pour soulager ses pincements

8.9.11

Registres

- Ton ton me navre.
- Oui, moi aussi, je ne vois pas pourquoi Tatie l'a épousé !

- Ton ton me navre.
- Mais il est tout frais, mon thon, direct de la criée !

- Ton ton me navre.
- Bon, je change de registre.

7.9.11

Bistre

Bien triste couleur
Qui bisouille la fine fin
D'un siècle terne

6.9.11

Ministres

C'est toujours de ma faute à moi. Je m'en doutais. L'année prochaine, ce sera pareil.

5.9.11

Sinistres

Silencieux, ils passent comme des bonnes soeurs, les mains cachées sous leurs robes, mais toujours ouvertes lorsque c'est eux qui font la collecte.

4.9.11

BARBIE À LA CABINE

 Pour En vos mots :

Tableau par Jan de Maesschalk

Je suis amoureux
D’un’ nana si belle,
Son carnet d’adresses
Pèse bien plus qu’elle.

Elle a bien son choix,
Dans son grand volume,
Et pourtant c’est moi
Son ange qui l’allume !

Car…

Je suis la cabine
Témoin de tendresse,
Son beau Belgacom
Qui a ses caresses.

1.9.11

À LA TROMPETTE DOUCE

Pour Mille et Une :




C'est un trou de culture où chante ses amygdales,
Accrochant follement au pharynx vibrant son
Plein ; où le soleil, passant par des carreaux pales,
Luit : c'est une petite dame qui ronfle au rayon.

Une femme pas jeune, bouche ouverte, tête à l’aise,
Et la gorge, exposée aux vampires assoiffés,
Vrombit ; elle est mal assise, sur la chaise,
Et l’on voit mal la façon dont on l’aura coiffée .

Les pieds sur les carrelages, elle dort. Sans doute
Insensible au monde classique autour, elle froufroute :
Passant,  réveillez-la doucement : et gaffe ! elle cogne.

Un café fort ne fera pas frissonner sa narine ;
Elle a cédé au sommeil, relevant sa poitrine,
Elle bourdonne. Pas la peine d’aller vite en besogne.