OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

31.12.10

Pas de pardon pour Billy le Kid

D'après la légende, 
il a abattu 21 personnes, 
mais la réalité serait 
plus modeste, 
seulement entre quatre 
et neuf meurtres,
le premier 
quand il avait dix-huit ans...
Le bruit courait fort 
ces derniers jours 
que le gouverneur démissionnant 
du Nouveau Mexique 
le pardonnerait 
comme son dernier acte, 
ce qu'il n'a pas fait.
Pauvre Billy le Kid ! 
Si mal compris !
Et si mort 
ces cent 
vingt-neuf ans 
derniers.

30.12.10

Sci-fi en noir et blanc, 1957

Sci-fi en noir et blanc
La bathyscaphe se lâche
et glou et glou et glou et glou
Deux hommes, deux femmes
Des amalgames
et glou et glou et glou et glou
Mais ils nagent
À une plage souterraine
Mais la caverne leur cache
Un Français meurtrier
et glou et glou et glou et glou
C'est le père de Kung Fu
glou glou
À la rescousse avec sa mâchoire
Carrée comme un paquet de Gaulois
Sa voix assortie à leur fumée de gloire
glou
Et des sourcils juste un peu moins sauvages
Que ceux du Français meurtrier
gulp!
Qui s'empare de la méchante -
Mais c'est la gentille blonde
À la rescousse, et tout le monde
Est sauvé, 
Sauf
Le Français meurtrier
Qui meurt dans le volcan
Souterrain
et glou et glou et glou et glou

The End 



29.12.10

Familiale

Le deuxième frère aîné
(Plus sadique que le premier)
Fêtera bien la soixantaine
Entouré par tous sauf la haine
De celle qu'il savait torturer
Si bien dans son petit passé.

28.12.10

Maria Martins

En principe, juste une note
En bas de la page,
C'est cette Brésilienne
Qui a appris, trop tard,
À l'artiste comment aimer.
Étant donné, donnée, donnés
(personne ne sait orthographier)
D'elle-même
Une déesse, une femme,
Les pieds de bronze ancrés
Par le serpent,
Mais sa tête - deux ailes -
En haut,
Prête à s'envoler
Comme ça.
Le meilleur artiste
N'était pas celui
Qu'elle a enfin abandonné.

27.12.10

Vitaminé

vitaminé
contaminé
par le con qui vit
miné, ah 
les mots
motivés
escamotés
motus
rançonnés
sonnés
nés
vitaminés
A, C, B, D
assez assez
vitaminés

26.12.10

Boxing Day

C'est le jour où tu emballes un bout
De ta richesse
Dans une belle boîte
Que tu portes avec autant d'ostentation
Que tu peux
Pour laisser devant la porte
De quelqu'un d'autre
Qui, sans ton cadeau,
N'aurait pas su qu'il était pauvre.

25.12.10

Bêtise

Les sages le cherchent encore. Les aveugles aussi.
Les flâneurs, les douteurs, les imbéciles,
Les cons, les bons, et les truands,
Tous ceux qui ne savent toujours pas 
Que le vrai miracle
Se trouve en chacun de nous.

24.12.10

Cet objet obscur de mon désir...

Je convoîtais ces bottes.
Elles étaient noires, faites de cuir.
Elles brillaient chic.
Mes propres bottes étaient des vieilles.
Faites de caoutchouc, avec des hauts bordés d'une triste fourrure ridicule, et des fermières à glissage grossières et lourdes.
Indestructibles.
Pragmatiques.
Et laides comme pas possible.
Des bottes de vieille femme, quoi.
La sorte qui fait rire des filles qui ne sont pas vraiment tes copines.
Ce jour de Noël, je ne me souviens pas de ce que j'ai eu comme cadeau.
Mais je me rappelle encore mon dépit et la honte qui m'attendait encore à côté de la porte.

23.12.10

Champignon-sur-rue

Ne sous-estimons pas l'importance de la pourriture. Sans moisissure, le penicillium n'existerait pas.

22.12.10

Réveillon

-Regarde, me dit-il et je vis dans sa paume un bout de pain desséché.
Ses yeux luisaient dans le noir.
Je ne sais pas quel prix il l'avait payé et je n'osais pas demander.
Mais j'admirais.
- Bravo, mon chéri. Allez, croque-le, mais doucement, cela te fera plus plaisir si tu le savoures.
- Savoures, maman ?
- Cela veut dire que tu prendras ton temps à le manger, pour prolonger le plaisir.
- Tu n'en veux pas ?
Ses yeux portaient un faux espoir que je n'osais pas decevoir.
- Ce que je veux, mon enfant, c'est que tu manges ton pain.
Il ne dit pas merci, mais commença à grignoter. Je vis que ses mains bleues du froid tremblaient encore.
Ce n'était pas facile, mon estomac creux menaçait de m'étrangler, mais je me retins.
Le petit prit cinq minutes entières à mastiquer son morceau.
Et puis, il n'y en avait plus.
- Qu'est-ce que je suis fière de toi, mon amour, lui fis-je. Tu as croqué dedans comme un vrai homme.
Il me sourit vaguement, et prit, pour la première fois sans demander, toute la couverture pour lui-même.

21.12.10

Je voudrais bien écrire quelque chose de drôle...

haha ?
bah !
hihi ?
bleauh !
hoho ?
bof !
huhu
breuh !
heuheu ?
beu !
beuheuheu !
beuheuheuheuheu !
tiens,
c'est drôle, ça...

20.12.10

Mal lunée

À quoi ça sert de s'éclipser dans l'anonymat,
Faire sa belle danse de voiles pour personne ?
Comment faisais-tu avant l'arrivée des hommes,
Quand il n'y avait personne pour t'admirer, te convoîter ?
Et comment te portes-tu maintenant qu'on t'abandonne,
Personne ne t'aborde, personne ne t'envoie ses missiles
D'amour cupide ?  Comment tu fais, maintenant ?

19.12.10

Molly Pitcher, où es-tu passée ?

Image de Wikimedia Commons, gravure de Molly Pitcher
On n'en parle pas souvent, de ces femmes qui restent à l'arrière-plan, celles qui lavent, et pansent, et apportent de l'eau quand ceux à la une ont soif. On leur laissera charger les canons, mais ce ne seront jamais elles qui gagnent la bataille. Les médailles seront pour des autres. Après la guerre, elles ne seront jamais les vraies amies, celles auxquels on offre des cadeaux, jamais de vraies amantes qu'on recouvre de diamants. Elles ne seront jamais qu'une arrière-pensée ci ou là, juste des oiseaux qu'on daigne arroser de miettes lorsqu'on a bien dîné. Tôt ou tard, elles repartiront encore anonymes, dans la poussière, mourantes elles-mêmes de soif.

18.12.10

Pouce

Les indéfatigables sont juste ceux qui cachent mieux leur fatigue que ceux qui ne font que s'en plaindre.

17.12.10

Renommée

Pencher la tête,
Courber le dos,
Devenir toute ronde, toute petite,
Rétrécie,
Passer pour un caillou,
Un parmi des milliards,
Dur mais insignifiant,
Finir comme un noeud
Indigeste
Dans le gésier
D'un oiseau extinct

16.12.10

Mille et mille et mille

Sur le lac, tout à l'heure, mille et mille et mille oies,
Noires contre le blanc de la glace, flottant comme des bouchons
Sur l'eau ouverte, attendant que le soleil se couche derrière les arbres,
Que les véhicules ne passent plus, conduits par ces curieux
Qui n'ont que deux pattes et aucune plume.

Demain, il y aura encore mille et mille et mille miles à voler,
Battant les ailes sans cesse, sans hésitation, suivant ce guide
Invisible qui les rappelle à venir, partir, revenir, repartir,
Mille et mille et mille fois encore, jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus.

15.12.10

Inutile

Avoir peur de la mort me semble si inutile. C'est comme avoir peur du soleil qui se couche. - Patrick Hicks, "Living With the Dead"

Tant de choses inutiles dans ce bas monde,
Comme lorsqu'on sourit aux aveugles
Et quand on chante aux sourds.

Les heures qu'on passe devant le miroir
À attendre une beauté qui te boude,
L'épingle de sûreté qui doit tenir 
Tout le poids d'un pan lourd et irraisonnable.

Le tissu à carreaux,
Le rouge à lèvres rose clair,
Les freins sur une route glacée,

Inutiles et dangereux
Comme le faux espoir
Qui te fait dire qu'il y aura le temps
Tout en sachant qu'il n'y en aura plus.

Les souvenirs, les scrapbooks,
Les idées que tu griffonnes dans un cahier
Que tu oublies sur un banc dans le parc,
Qui ronronne et se feuillette dans la brise
Et qui servira à protéger un pantalon
Des fientes laissées par des moineaux.

14.12.10

Comme un mardi

Tu feras comme un mardi
Oublié entre le début et la fin
Plus relaxe que ton antécédent
Moins moyen que celui qui te suivra
Tu seras comme un mardi
Nommé pour la guerre
Tu repartiras dans les colonnes
Des soldats tous comme toi
Le bouclier un peu sali
Mais qui servira encore
Si tu n'oublies pas de le garder
Entre toi et l'assaut.
Et si tu survis
Ta voix s'élevera
Parmi les autres,
Rauque et indistincte.
Et si tu meurs
Tu gémiras seul
Dans le sang et les larmes,
Bientôt oublié.

13.12.10

Oraison

Jamais don
Sans chardon
Jamais coeur
Sans rancoeur
Jamais Dieu
Sans toi.

12.12.10

Prière impénitente

Notre père qui es aux cieux, comment tu vas ces jours-ci ? 
On a beau le nier, mais tu commences à puer des pieds, côté miracles. 
Quand es-tu devenu si pingre ? Et nul ? Car souvent ce que tu fais est carrément dégueu- 
qu'est-ce que ces gens t'ont fait que tu veuilles leur foutre la guerre, la famine, le viol, les verrues, hein ?  Toi, faut le dire, franchement, tu te la coules un peu trop douce ces jours-ci. 
Je te trouve plus qu'un peu gonflé...pourquoi veux-tu toujours tout le crédit 
pour les bonnes choses et jamais pour les bavures ? Surtout celles qu'on commet en ton nom ? 
Perso, ce que tu fais, je te jure, j'étais toi, je ne serais pas trop fière ! T'as pas honte, des fois ? 
Bon, oui, je sais...parle aux mains car la tête ne m'écoute pas. 
Je sais que je ne t'apprends rien, Seigneur. Chuis pas la première ni serai la dernière à te traiter de con. Porte-toi bien - non - fais-toi soigner si tu peux, hein ? 
 Et à la prochaine. Mais ce ne sera pas pour demain.
Amen.

11.12.10

Touriste

Je n'irai jamais visiter ta tombe.
Ce serait comme visiter un pays
Où toutes les femmes se voilent.
Elle restera alors comme cela
Dans un guide Michelin affectif :
Un monument à trois coeurs,
Un manquement à ne pas manquer,
Un obus raté d'une autre ère
Qui n'attend qu'à s'éclater.

10.12.10

Stollen

Une congère de pain
Et raisins
Solide, et si tu mords
Dedans, tu te dis
Que l'hiver sera long
Comme le beurre

9.12.10

la 238

trois cent soixante-cinq jours par an
alala se lève dans le chaud ou le froid
prend son grand panier de linge
et s'en va dans le noir vers Paris
trois cent soixante-cinq jours par an
fériés, grévés, sinistrés, ordinaires,
autant que le sang circule encore
dans ses veines
alala arrive au fond de la cour
et entre à l'hôtel par la porte d'en bas
elle prépare le café, range la confiture,
les croissants, dit bonjour au patron
s'il passe
le service commence à six heures
mais les affamés à six heures sont rares
quelques touristes allemands, ponctuels
les hommes d'affaires arriveront vers sept
heures, pas les gros pistonnés,
des japonais en difficulté,
et surtout, tous des visages blancs, l'un
ressemblant interminablement à l'autre
à dix heures, elle termine son service
et rejoint les autres à faire les chambres
elle aime bien la 238
parfois on lui laisse un pourboire
on, c'est la dame blonde qui l'appelle
Madame au service, qui dit merci,
celle-là qui pense
souvent à alala, sans qu'alala
ne pense jamais à elle.

8.12.10

La mauvaise poésie

La mauvaise poésie est comme l'enfant taré de la voisine. Celui qui vient hurler devant ta porte à cinq heures du matin parce que sa maman dort et il a faim. Alors, tu lui ouvres la porte, tu essaies de le calmer, tu l'assieds devant la télé avec un bol de céréales. Tu te fais un café, tu le bois, et quand il te semble une heure décente, tu ramènes le bambin chez la voisine qui est surtout fâchée que tu la réveilles à une heure indécente, et de voir que son lardon n'a pas été un cauchemar qu'elle a fait dans la nuit. Tu lui souris avec compassion, tu retournes dans ton apart', et le lendemain, vers cinq heures, tu attends qu'il revienne hurler devant ta porte.

7.12.10

au lit

on y laisse des traces :
comme des escargots qui passent
un oreiller mouillé de sueur
quelques fluides indiscrets
dans les draps
et, parfois, lorsqu'on est
très chanceux,
des miettes, des tas, des tas
des tas de miettes 
et une tache
de café

6.12.10

Pour nous tenir au chaud

 

Pour nous tenir au chaud,
À l'abri des morsures :
Un mot de tendresse,
Un sourire lointain,
L'étincelle dans les yeux
D'un vrai ami.

5.12.10

Collège, 1969

Il s'appelait Bill.

Il était moche. Il tenait un peu de Hitler sans les petites moustaches, parce qu'il n'avait que treize ans comme nous tous. Des cheveux noirs et trop gras. On voyait bien que Bill n'aimait pas le shampooing.

Ses vêtements lui allaient mal, comme s'ils avaient appartenu à quelqu'un d'autre. Le bas du pantalon un peu trop haut, les manches de la chemise un peu trop longues. Sa ceinture avait trop de trous au bout qui pendait, ridicule de sa taille. Le t-shirt un peu grisâtre autour du cou.

Il ne sentait pas mauvais, mais il y avait du noir sous ses ongles.

Non, sa famille n'était pas riche, mais il n'y avait pas de familles riches dans cette région rurale. Nous vivions tous plus ou moins du hasard. Mais la vie à cette époque était plus simple, les temps durs pas encore oubliés dans les familles qui ont connu la guerre, le manque, le sacrifice, et, enfin, certaines récompenses.

Cela dit, personne dans la classe ne voulait pas vraiment s'associer avec Bill.

C'était un gars qui avait des bords un peu pointus, il était dur à l'intérieur. Sans qu'on se le dise, nous étions sûrs que Bill savait taper. Personne n'avait envie de tester cette théorie.

Il savait très certainement répondre, même si l'école était encore, à cette époque-là, un lieu ou les grands savaient plus que les petits, et que l'on se taisait parce que c'était pour son propre bien.

Bill, ce malheureux, avait oublié un jour que madame R n'aimait pas qu'on mâchait du chewing à l'école.
Elle avait déjà expliqué à la classe qu'on ne disait "Hi" qu'aux vaches.
Personne n'osait dire "Hi" à madame R. Personne.
Les autre infractions plus sérieuses nous étaient aussi étrangères.

Et ce jour-là, un beau jour de printemps, Bill avait le malheur de mâcher du chewing aux cours.
Soit il avait oublié, soit il s'en fichait, soit c'était son seul petit déjeuner.
L'oeil rancunier de madame R a tout de suite repéré la contrabande dans la bouche de l'infortuné.

Calmement, elle a placé la poubelle devant le tableau noir.
Calmement, elle a demandé que Bill se place devant la poubelle.
Il allait devoir crâcher son chewing dans la poubelle.
Le spectacle serait son humiliation, cela suffirait.
Elle lui a dit de se pencher sur la poubelle.

Nous ses camarades de classe voyions ce que Bill ne voyait pas, penché devant la poubelle.

C'était madame R qui avait pris le mètre, qui s'approchait, calmement, et qui a frappé Bill aux fesses avec tellement de force que le bâton épais et rigide s'est fendu en éclats de la force de son coup.

Silence. Horreur. Silence.

La victoire était à Bill.

Il n'a pas crié.
Il n'avait pas le souffle coupé.
C'était lui qui a repris calmement sa place pendant que la prof, toute rouge, louchait, furieuse, et nous autres la regardaient, bouche bée.

***

Je ne sais pas ce qu'il est devenu, ce Bill.
Je ne sais pas s'il portait longtemps les traces de cette attaque vicieuse.
Mais nous, ses camarades de classe, si.
On a longtemps porté les nôtres.

Longtemps.

4.12.10

Mangeoire

Nourrir les oiseaux, cela devient une besogne, une responsabilité, une corvée inévitable, car les mangeoires vides, les oiseaux qui reviennent, qui semblent se demander où s'est passé ce petit coin du monde un peu  moins abusif que les autres, cela fait trop mal, on ressent le noeud dans la gorge, les larmes aux yeux, car ils n'ont pas demandé de naître oiseau dans un pays froidissime et cruel et qui exige un maximum d'énergie juste pour exister. Nourrir les oiseaux, c'est plus que de la charité, c'est un exercice d'humanité, oisellité, c'est le libre-échange qui marche comme il se le doit : sans pièges, sans cages, sans hésitation, sans remboursement affectif ou obligé.

3.12.10

Régime

On couve
On pond
On attend que son oeuf(vre)
Craque et/ou
Fasse craquer

On attend
Et on attend
Et perdant patience
On y laisse parfois des plumes

Poussin, poule
Suprèmes de volaille
À consommer
Ou à laisser
Dans l'assiette

Tant de végétariens
Tant d'anoréxie
Mais où sont les goinfres
D'antan ?

2.12.10

Laine

On peut tricoter toute sa vie sans jamais une seule fois penser aux sacrifices du mouton.

1.12.10

Encore un jour de silence

C'est le pouce de l'Empereur
Indiquant le sol au colisée,
Le marteau du magistrat,
La boîte à lettres tout à fait vide 
Le jour de la St-Valentin,
L'oasis empoisonnée
Que tu croises 
Mourant de soif.
C'est l'oreille bouchée
À l'atterrissage,
Le moment où tu tombes
Dans l'escalier et tu te rends compte
Enfin
Qu'il n'y aura plus de marches.