OUATE ET VERRE

OUATE ET VERRE

27.3.10

MONTMORENCY

Pour le Défi du samedi :

Montmorency. Fabrice Jacques-Michel Montmorency. Ancien chef du Département d'Acquisitions du Musée des Merveilles Merveilleuses. À votre service.

Pendant trente ans, six mois, quarante-sept jours, sept heures, neuf minutes et vingt-deux secondes, fidèle au poste, je reçus chaque jour des centaines de personnes de toute sorte imaginable : des grands, des petits, des ronds, des maigres, des vieux, des jeunes, des riches, des pauvres, des beaux, des laids. Des gens de partout sur la planète peuplant six jours sur sept la salle d'attente hors de mon bureau.

Naturellement, chacun portait sur lui un trésor qu'il voulait confier au musée.

Pendant trente ans, six mois et presque quarante-huit jours, j'étais chargé par la direction de les recevoir, d' écouter leurs narrations, d'examiner le trésor en question, de les remercier vivement pour leur contribution, de les raccompagner à la porte, et puis de leur serrer la main fermement et avec une gratitude qu'ils croiraient sincère. Une fois la porte fermée derrière eux, je terminai rapidement la documentation, collant une étiquette d'identification sur l'objet et le remettant sur la courroie transporteuse qui menait à l'entrepôt vaste du musée.

Mon efficacité ne connut pas de pareil, je vous assure.

J'imagine bien que j'aurais continué, si, lors de ce quarantième jour de ma trente-et-unièmetrente-et-unième année de service, je n'avais pas ouvert ma porte vers 16 h 09 afin de recevoir une petite blonde, d' un certain âge, pas grande, pas petite, pas ronde, pas maigre, pas vieux, pas jeune, pas riche, pas pauvre, pas belle, pas laide. Je me souviens maintenant qu'elle portait un manteau beige quelconque et que j'avais remarqué qu'elle ne répondit rien lorsque je me présentai. En principe, c'était le contraire, les gens voulaient faire la meilleure impression possible afin que j'apprécie la vraie importance dudit trésor. Mais de cette femme-là, rien, pas un mot. Rapidement installée sur la chaise devant mon bureau, elle y plaça soigneusement une petite boîte.

Au début, je la croyais incrustée de perles - j'avais tout vu, bien sûr, des émeraudes, des diamants, des trucs pitoyables en carton - et je me rendis vite compte que la petite boîte fut composée d'ivoire gravée. Je ne me souviens plus comment je compris que la dame voulait que je place ma main sur la boîte, je ne me souviens plus comment je compris qu'elle voulait que je ferme les yeux.mais sans qu'une syllabe ne passe entre nous, j'exécutai, efficace, comme fut mon habitude.

En quelques secondes, toutes les couleurs de l'univers passèrent devant mes yeux, maintes mélodies envoûtantes caressèrent mes oreilles. Des parfums savoureux taquinaient mes narines tremblantes. La boîte vibrait sous mes doigts. Je riais, je pleurais, je hurlais de joie. J'avais peur, j'avais chaud, j'avais froid, tout à la fois. Un maelström irrésistible m'nveloppa. Je sais que j'y serais resté jusqu'à la fin de mes jours, mais je ne sais toujours pas, même aujourd'hui, combien de temps je restai là, cloué, immobilisé, transi, liquide, heureux.c'était six secondes, c'était six millénaires.

Quand j'ouvris enfin les yeux, je vis la dame en train de repartir.

- Attendez, madame ! Il faudra que.

Elle se retourna, souriante. Un léger filet cramoisi suintait d'un coin de sa bouche. Ses yeux bleus scintillaient, je sus qu'ils me commandaient d'ouvrir la boîte. Comme fut mon habitude, j' exécutai, automatiquement. Efficace, comme fut mon habitude, je vous assure.

Dans la boîte, je vis un organe charnu, musculaire, rougeâtre, violacé, pointillé.

- Mais, m-m-madame, balbutiai-je, lentement, difficilement. M-madame, c'est votre langue ?

De nouveau, la musique m'enveloppa, l'univers m'appelait et je me sentis très exactement sur le point de m'évader ; je vis son sourire luisant juste au-dessus du bord du précipice et j'entendis, de loin, dans le tourbillon de l'éternité, des clochettes d'ailleurs qui retentissaient :

- Oh, ne vous inquiétez surtout pas, monsieur Montmorency ! me sourit-elle. Ma langue est bien une merveille merveilleuse, mais j'en ai d'autres.

22.3.10

Skate

Pour les Kaléïdoplumes :

Remue-méninges au cœur du cœur
C’est comme ça que tu vas lorsqu’on t’a
Menti, t’as été trahie par un mentor menteur.

Des mots, des gros, comme un Cheval de Troie
Qui efface le disque dur de ton bonheur,
Effacés, mal placés : comme ta joie, ton émoi, ta foi.

Et là, tu te promènes en silence, sans baladeur.
Tu mourras par ce froid sous leur galère de neige,
Lentement, en attendant un déblayeur.

Mais sans mobile débile,
Ça ira crescendo, diminuendo
Crescendo, diminuendo…

Remue-méninges au cœur du cœur :
Pas chouette car ils te guettent,
Sournois, narquois, comme les bosses des ralentisseurs.

Non, t’as pas voulu escagasser tes vioques, leur semoule
Insensée, est-ce qu’ils pensaient
Que tu roulais dans la foulée, à la coule et
Comme une boule de glace ?

Nénette, variante,
Épatante, haletante,
Zigzagante sur ta planche blanche
Parmi les bosses colosses,
Sensass.

T’as qu’à zapper les ralentisseurs.

17.3.10

Aphorisme 3

Aux pays des proverbes, tous les autres verbes sont des amateurs.

16.3.10

Aphorisme 2

Le guerrier qui ne se fatigue pas lors d'une bataille n'est pas un guerrier, c'est une machine.

9.3.10

Aphorisme

C'est sympa lorsqu'on te tend la main, et c'est pas pour te gifler.

8.3.10

Fortune

[Pour les Kaléïdoplumes]

Née d’un joli printemps ou d’un hiver cruel,
D’un automne mourant ou d’un printemps sage,
Soit belle exquise, soit laideron formelle,
Soit fardée de couleurs, soit sans affichage,

Créature divine et diablesse nue,
Gracile et fluette, généreuse et forte,
Mère et sœur et fille, enfant, amie férue,
Celle qui écrase, et qui réconforte.

Sorcière et pute, déesse et vierge,
Choyée, chassée, cherchée, chérie ou châtiée,
Poète ou profane, juge ou concierge,
Louve solitaire, ou dame appariée,

Sa force est absolue, et c’est sa fortune :
Elle ne nait pas femme, elle en devient une.

6.3.10

Trompe-l'oeil

Pour le Défi du samedi :

Finalement, cela n’avait pas été très difficile.

Odette se félicitait pendant qu’elle remuait les tisons dans la cheminée. Il n’y restait que quelques morceaux du capuchon qui refusaient, étrangement, de brûler. Pas bien grave, elle pourrait les enterrer au bout des bois demain matin avant l’aube. Mais en ce moment, elle ne voulait que boire un bol de soupe pour fêter la réussite de son jeu.

Elle sourit en se rappelant le regard surpris de cette stupide Estelle avant que la meute ne l’emmène. Et cette lueur dans ses yeux, le hochement de sa tête infortunée, cette bouche qui formait la syllabe Toi ! avant de disparaître sous la cagoule imposée. Jouissif !

Odette se refusa la joie ultime d’écouter ses pleurs sous le vieil arbre qui servait de justice au village quand il en fallait. Non, elle savait qu’elle n’aurait pas pu cacher sa joie à témoigner la mort de sa rivale détestée, de voir son corps fluet pendouillant dans le crépuscule. Oui, elle se priva de la vue de cette immonde tête penchée vers les rondeurs hautes de sa jeune poitrine. On n’est pas trop si fière une fois le cou tordu, hein, ma belle Estelle ?

Jamais plus les yeux des villageois ne suivraient ses pas dansants, jamais plus l’un ou l’autre ne parlerait éperdument des charmes de cette fille. Non. Pas très convenable de tomber amoureuse d’une tueuse d’enfants, ah non.

Et finalement, cela n’avait pas été très difficile…

D’abord s’insinuer auprès de l’idiote. Facile ! Cette nigaude aimait tout le monde ! Après, voler le capuchon connu par tous ; ensuite, élire la petite victime - une des favorites de cette garce blonde - et imiter sa voix, sa manière, son pas dansant ; amener la petite à un lieu où l’on retrouverait assez tôt son petit cadavre brisé et ensanglanté ; y laisser quelques cheveux blonds et un ou deux petits objets qui identifieraient immanquablement l’assassine ; semer des graines de doute parmi les bonnes gens du hameau ; et, finalement, attendre.

Attendre que la meute ne vienne chercher ce monstre qui se cachait derrière ces yeux bleus, ce visage d’ange qui endiablait chaque gars qui le voyait…

Oui, l’attente, pas très longue du tout, quelques petites heures. Odette avait compté sur la jalousie des autres femmes, de la perfidie des prétendants échoués, mais même elle ne pouvait pas croire la force de ces émotions dangereuses qui bouillonnent toujours juste au-dessous des apparences.

La soupe bue, sa soif de vengeance désaltérée, la vieille commença à réviser plus calmement ses démarches, s’assurer qu’elle n’avait rien oublié.

Non, rien.

Il n’y avait que les restes du capuchon volé. Odette se levait lourdement pour s’occuper de ce dernier détail lorsqu’elle vit un reflet au vieux miroir cassé à côté qui se trouvait à côté de la petite fenêtre par laquelle elle vit une étrange lumière. Au même moment, Odette entendit les hurlements indignés de la deuxième meute.